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Les musées de Skopje, des catalyseurs pour le renouveau culturel en Macédoine du Nord
Arbresha Ibrahimi
docteure, architecte, attachée temporaire d’enseignement et de recherche au département d’architecture, faculté d’ingénierie de l’université internationale des Balkans à Skopje, et collaboratrice au Young Design Circle de l’Organisation mondiale du design
Mots clés : musées, Skopje, renouveau urbain, changement positif, Macédoine du Nord
La riche histoire de Skopje
L’implication du gouvernement dans le développement des musées de Skopje constitue un obstacle à la représentation authentique de la riche fresque multiculturelle et multiethnique de la ville – qui est son bien le plus précieux. Les origines de la fragmentation de Skopje peuvent être retracées au tout début de son histoire, les sites historiques et archéologiques que sont la forteresse de Skopje et la localité de Scupi étant les principaux catalyseurs de l’identité plurielle de la ville. Le récit historique complexe de Skopje se déroule sur de nombreuses époques, depuis l’ancien royaume dardanien jusqu’à l’actuelle Macédoine du Nord. Des influences venues des empires romain, byzantin, bulgare et ottoman ont contribué à construire cette identité plurielle. Les changements de régimes ont modelé le panorama architectural et urbain, mais ils ont laissé aussi une marque indélébile sur son tissu culturel et social. Skopje a traversé des périodes de richesse et d’adversité, navigant à travers l’ascension et la chute de plusieurs puissances. Son identité actuelle au sein de la Macédoine du Nord témoigne de sa quête d’indépendance et d’autodétermination, surtout après la dislocation de la Yougoslavie. Les facteurs qui ont contribué à la fragmentation de la ville comprennent des désastres naturels comme des incendies, des inondations, des tremblements de terre, en plus des conflits qui ont engendré les guerres balkaniques, des conflits inter-ethniques et inter-religieux, des dissentions politiques avec les pays voisins ou encore la mauvaise gestion des investissements de capitaux. Chaque événement de l’histoire de Skopje a joué un rôle clé dans la formation de son identité. La volonté du gouvernement étant d’établir un État national sur un territoire multi-ethnique, son idéologie politique le pousse à fonder, par stratégie, des institutions − en particulier des musées − afin de servir son programme. Toutefois, le contrôle qu’exerce le gouvernement sur les musées représente un danger : celui de les transformer en entités entièrement au service d’un agenda politique. Plusieurs musées ont été créés au cours de la dernière décennie, mais cela ne garantit pas une ouverture des possibilités dans le domaine muséal si ces musées ne peuvent pas être indépendants en termes de contenu.
Le potentiel des musées à Skopje : vers la création d’un important centre culturel
L’influence des musées s’étend au-delà des espaces d’exposition, dans la mesure où ils servent souvent de centre névralgique pour la revitalisation urbaine. Ceux de Skopje sont essentiellement concentrés dans le centre-ville et ses alentours, et leur importance se mesure en fonction de leur proximité avec le fleuve Vardar et de leur emplacement sur sa rive nord ou sud. Sur la rive nord, les musées ont un style distinctif ottoman ou bien un style d’architecture moderne, une continuation du style architectural de la Macédoine du Nord présenté lors du projet « Skopje 2014 ». Cette initiative ambitieuse d’architecture et de planification urbaine était née d’un projet politique puisqu’elle a été proposée sous la direction du parti de la droite conservatrice, qui a commencé à la mettre en œuvre avant qu’un changement de gouvernement n’entraîne l’arrêt du projet. Ce vaste programme englobait à la fois l’architecture, la planification urbaine et l’art, avec pour objectif principal de donner un nouveau visage au centre de la capitale macédoine. À l’inverse, les musées de la rive sud du Vardar présentent surtout des conceptions architecturales modernes, associant des éléments d’architecture socialiste et brutaliste. Dans l’ensemble, chaque musée offre une perspective unique sur l’évolution architecturale de la ville (voir Fig. 1).
Ce mélange de styles et de bâtiments architecturaux non seulement met en valeur le paysage culturel de Skopje mais permet également de refléter tangiblement son histoire et son identité complexes. Chaque musée témoigne de la multiplicité des récits qui ont modelé la ville au fil des siècles, faisant du quartier des musées une destination stimulante. Un quartier des musées a le potentiel de devenir un pôle important pour le tourisme, l’enrichissement culturel et le développement économique d’une ville. Ce potentiel peut aller jusqu’à favoriser la collaboration et la communication entre les différents départements d’un même musée ou bien au sein de la communauté que sert le musée, et peut également favoriser la coopération inter-institutionnelle aux niveaux local, régional ou mondial. Malheureusement, de telles collaborations ont été très limitées par le passé, surtout en raison du contrôle qu’exerce le parti gouvernemental dominant sur les musées et sur les engagements ou les alliances que ceux-ci pouvaient avoir avec la communauté et les autres institutions de Skopje.
Lorsqu’il est conçu avec une vision stratégique et géré efficacement, un quartier des musées a la capacité d’attirer de nombreux visiteurs, de stimuler l’économie locale et de renforcer le dynamisme de la communauté. De plus, il peut contribuer directement à la revitalisation urbaine en encourageant les investissements dans les infrastructures, les espaces publics et les transports. Ce développement ne se contente pas de renforcer l’attrait esthétique de la zone, il la rend également plus attractive pour les habitants et les visiteurs. La synergie créée à travers cette planification stratégique peut mener à une transformation positive, transcendant les défis posés par les influences politiques historiques. Malgré le contrôle gouvernemental, Skopje a heureusement pu bénéficier de ces changements. Néanmoins, j’estime que sans les limites imposées par un tel contrôle, la ville aurait connu de plus amples transformations, et les interactions entre les départements ou entre les institutions mentionnées précédemment auraient été facilitées.
Perspectives d’avenir pour les musées de Skopje
La situation actuelle des musées à Skopje demeure très précaire, principalement en raison du contrôle important exercé par les partis politiques dominants du gouvernement. Le turnover politique fréquent que connait le pays aggrave la situation, menant à des changements de personnel qui dépendent du parti politique au pouvoir. Il en découle un manque de continuité dans les projets muséaux. Par conséquence, en dehors des visites occasionnelles organisées par les écoles primaires ou secondaires et des ateliers sporadiques mis en place pour les enfants, ou bien de quelques événements ponctuels comme le 8 mars (Journée internationale de lutte pour les droits des femmes), il est très rare que d’autres activités soient proposées dans les musées de Skopje.
Afin de remédier à ce besoin urgent de revitalisation et de durabilité, je suggère d’incorporer des activités alignées sur les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations unies. En intégrant ces activités, les musées pourront établir des liens avec les ODD qu’ils choisissent et contribuer au développement durable.
Cette approche stratégique vise à rompre le cercle vicieux dans lequel s’inscrivent toutes formes d’initiatives peu fréquentes et décousues, en fournissant aux musées un cadre qui s’aligne sur des objectifs plus larges de durabilité globale. À travers l’adoption d’activités proposées par les ODD, les musées de Skopje peuvent transcender les défis que posent les dynamiques politiques et le contrôle gouvernemental, contribuant ainsi à un paysage culturel plus stable et plus percutant.
Conclusion
Si l’on se tourne vers le futur, il est clair que les musées à Skopje ont un potentiel de croissance et d’enrichissement culturel considérable. Pour atteindre ce potentiel, les difficultés à surmonter en matière de communication et de collaboration, indissociables des dynamiques politiques et des complexités historiques, doivent être vues comme des appels urgents à passer à l’action plutôt que comme des obstacles insurmontables. En embrassant ces approches stratégiques et en s’alignant sur les objectifs de durabilité mondiaux, ces institutions peuvent dépasser les barrières historiques et compter parmi les acteurs clés en vue de l’instauration d’une communauté plus inclusive, plus résiliente et plus dynamique pour les générations à venir.