Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau

Kika Kyriakakou

Rédactrice et conservatrice indépendante

Le Musée national d’art contemporain d’Athènes (EMST) se déplace jusqu’à Cassel pour documenta 14.

C’est en 1955, à Cassel, en Allemagne, que l’exposition documenta fut lancée par l’architecte, artiste et conservateur allemand Arnold Bode. Cet événement qui a lieu tous les cinq ans est considéré comme l’une des plus importantes expositions d’art contemporain au monde, ce qui lui vaut le surnom de « musée des 100 jours ». Ce musée peu conventionnel est progressivement devenu un inventaire des derniers concepts et tendances artistiques et a, à plusieurs reprises, formé la pierre angulaire du monde de l’art contemporain.

Pour sa 14e édition, son directeur artistique, Adam Szymczyk, a proposé une structure en deux parties, comme le laisse deviner le titre « Learning from Athens » (« Apprendre d’Athènes »). En effet, la capitale hellénique et Cassel organisent toutes deux l’exposition, du 8 avril au 16 juillet et du 10 juin au 17 septembre, respectivement. En Grèce, les événements ont eu lieu dans divers musées, institutions et espaces publics de la capitale, par exemple à l’École des beaux-arts d’Athènes, au Musée Benaki, à la Fondation Yannis Tsarouchis, au musée byzantin et chrétien, au Conservatoire, ou encore à la bibliothèque Gennadius de l’École américaine d’études classiques. Le choix du Musée national d’art contemporain d’Athènes (EMST, en grec), qui a rouvert récemment dans l’ancienne usine des brasseries Fix, était particulièrement significatif. Pendant 12 ans, les difficultés administratives et financières ont retardé l’ouverture du musée. Il n’avait été dévoilé que partiellement jusqu’alors, lors de l’exposition Urgent Conversations: Athens-Antwerp, en 2016 ; documenta 14 constituait donc la première utilisation officielle de l’ensemble de l’édifice. Pour l’occasion, la collection du musée a également été présentée à Cassel. Nous nous sommes entretenus avec Katerina Koskina, la directrice du musée, qui nous a parlé de sa vision pour l’EMST, de la collaboration avec documenta 14 et des projets du musée pour l’avenir.

Comment s’est passée votre collaboration avec documenta 14 ?

Cette importante affaire a débuté en 2014, avec la proposition de céder des sections de l’EMST. De nombreuses discussions et négociations lui ont permis d’évoluer vers sa forme finale, alors même que le musée s’efforçait de redevenir opérationnel. En novembre 2016, sa transition a entamé un nouveau chapitre, avec le programme « EMST in the World » (« L’EMST dans le monde ») et l’exposition Urgent Conversations: Athens-Antwerp, organisée conjointement avec le musée d’art contemporain d’Anvers (M HKA). Nous travaillions nuit et jour pour réussir à ouvrir les espaces pour les expositions temporaires, alors que nous disposions de ressources limitées. Mais même cela nous aurait été impossible si nous n’avions pas pris la décision de déménager du Conservatoire d’Athènes (note de la rédaction : le lieu qui accueillait temporairement le musée depuis 2008) pour aller nous installer dans l’usine Fix, en 2015. Nous avons lentement commencé à relancer le fonctionnement du musée, même si le bâtiment ne nous avait pas encore été officiellement cédé. L’ouverture partielle du musée et la coopération avec le M HKA ont prouvé, aussi bien au public qu’aux personnes impliquées dans documenta 14, que nous étions capables de nous acquitter des exigences et défis qu’impliquent de nouveaux projets.

Notre collaboration avec cette exposition fut une expérience incroyable. Il est clair que le fait qu’elle se tienne dans deux villes à la fois a eu un impact positif. J’espère que nos associés de documenta sont aussi satisfaits que nous, et je suis sincèrement convaincue que chacun a pu retirer des bénéfices de ce travail. Chaque organisation devait surmonter de nombreux obstacles. Si le directeur artistique Adam Szymczyk et l’équipe de documenta 14 ne nous avaient pas grandement aidés et, surtout, si celui-ci n’avait pas suggéré de déplacer l’exposition hors de Cassel, un fait historique, cette aventure n’aurait jamais eu lieu. Cela a demandé beaucoup de courage, des deux côtés, pour continuer dans ces conditions. À l’EMST, nous ne nous sommes pas arrêtés à ce qui était considéré comme sûr ou faisable ; c’était plus une question de vision que de logique.

Comment l’idée de l’exposition de Cassel s’est-elle imposée et quelle est la portée d’un tel projet pour la collection du musée ?

La collection de l’EMST est une version adaptée de mon étude muséologique, conçue spécialement pour les locaux de l’EMST. L’exposition de Cassel, intitulée Antidoron, inclut presque exclusivement les travaux de notre collection. Sont absentes les quelques œuvres en cours d’acquisition ou celles faisant l’objet d’un prêt, et dont les créateurs devront à tout prix être représentés dans notre collection, selon moi. Nous devions avant tout faire connaître notre collection au public, plutôt que de présenter une nouvelle exposition. De plus, si cette collaboration a pu avoir lieu, ce n’est pas parce que documenta a demandé à l’EMST de se déplacer au Fridericianum (note de la rédaction : l’un des sites de l’exposition à Cassel, ainsi que son lieu de naissance et le premier musée public en Europe). Non, elle est née grâce auxdiscussions et aux informations que nous avons échangées sur nos intentions, sur nos intérêts et objectifs communs pour les travaux de la collection. Depuis le tout début, je souhaitais que notre musée soit abondamment mis en valeur dans la ville allemande. Il s’agit de la deuxième exposition de la série « EMST in the World » : il convenait donc de la présenter, à la fois en Grèce et à l’étranger. Je crois au pouvoir des synergies, qui sont au cœur même de ce programme. Nos discussions avec le directeur artistique et avec les conservateurs de d14 ont rapidement donné lieu à une idée dérivée à la fois du concept « Learning from Athens » et de la série « EMST in the World ». Notre participation à la d14 prendra fin le 17 septembre 2017. Nous espérons pouvoir ensuite placer les travaux exposés à Cassel dans leur emplacement final et, enfin, commencer à vraiment faire fonctionner le musée. L’objectif atteint en Allemagne est très important pour chacun de nous.

Quel sera selon vous l’héritage de documenta 14 pour Athènes, ses habitants et la scène de l’art en général ?

Je pense que documenta 14 est arrivé à Athènes au moment propice. Malgré la crise et son impact sur notre vie quotidienne, nous avons observé un fort intérêt pour les arts et la culture, ces dernières années. Néanmoins, la scène de l’art contemporain est peu connue ici. Documenta 14 a non seulement augmenté l’intérêt du public grec en général, mais l’exposition a également permis de révéler le monde de l’art contemporain local. Enfin, elle a ravivé le débat public sur la culture et, surtout, sur les arts visuels, et permis à de nouvelles coopérations de voir le jour, en Grèce comme à l’étranger. Maintenant, c’est à nous, ainsi qu’à l’État, de poursuivre ces efforts.

Quels sont les principaux obstacles qui empêchent l’EMST d’être complètement opérationnel, et quelle est la probabilité que vous réussissiez à les surmonter dans un futur proche ?

Je peux vous affirmer, non sans une grande joie, que nous sommes sur la bonne voie. Le règlement intérieur du musée, un prérequis à toutes les actions nécessaires pour procéder à l’installation de la collection permanente dans les locaux de l’EMST, a été validé. Nous nous sommes donné beaucoup de mal pour que le musée arrive à son état actuel. Nous poursuivons nos efforts, en étroite collaboration avec le ministère de la Culture, afin de surmonter tous les obstacles qui se présenteront. Nous cherchons et créons constamment de nouvelles possibilités qui nous permettent de continuer à faire fonctionner l’organisation. Mais, plus important encore, le musée est désormais « vivant », extraverti. Il progresse continuellement, bien souvent en dehors du pays, pour devenir enfin complètement opérationnel.

Quels sont les problèmes auxquels sont confrontés les directeurs de musées d’art contemporain en Grèce ?

Ils doivent faire en sorte que leur organisation reste compétitive, attrayante et extravertie, malgré les problèmes quotidiens. Ils sont obligés de concilier la réalité et leur vision. Enfin, il ne faut pas qu’ils négligent leurs objectifs, en dépit de tous les obstacles. Et, pour une organisationtelle que l’EMST, ces objectifs sont d’ordre national. De toute évidence, le directeur ne peut rien faire tout seul ; il doit inspirer et coordonner le personnel tout en inventant des techniques inédites.

L’EMST continuera-t-il à dialoguer avec les grands musées et institutions internationaux ? Quel est votre programme pour la prochaine saison ?

Ce dialogue est un élément clé, non seulement de notre programme « EMST in the World », mais aussi de notre stratégie et de nos activités en général. Il va donc se poursuivre, sans aucun doute. Notre prochaine exposition, qui débutera mi-septembre et se terminera en novembre, ne fait pas partie de ce programme. Elle sera organisée conjointement avec le musée d’art national de Chine (NAMOC), dans le cadre de l’année des échanges culturels gréco-chinois et de la coopération dans le secteur de la culture. Dans le même temps, nous prévoyons de mettre en place des événements parallèles. Et il va sans dire que nous travaillons aussi d’arrache-pied à l’ouverture de notre collection permanente dans notre nouvelle « maison ». Nous tenons à ce que le musée poursuive ses activités et intensifie ses efforts pour parvenir à fonctionner complètement.