Jeremy Diamond
PDG du Myseum de Toronto
Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau
juin 21, 2020
Mots-clés : programmes communautaires ; narration ; Covid-19 ; collaboration ; programmes virtuels
Musée sans murs et sans espace physique permanent dans lequel accueillir une collection ou des expositions, le Myseum de Toronto a toujours pris racine dans les communautés de la ville. Ses programmes se tiennent en général directement au sein de quartiers importants pour la communauté à laquelle nous essayons de nous adresser. Nous nous rendons dans les galeries indépendantes, les centres communautaires, les brasseries, les théâtres, et même à l’extérieur, dans les rues, les parcs et les espaces aquatiques de la ville. Nous proposons des expositions, des représentations, des réunions-débats ou des ateliers, le plus souvent en collaboration avec ces lieux dans lesquels nous travaillons.
Parce que nous partageons les histoires des communautés de Toronto, nous tenons aussi à collaborer avec elles et chacun de leurs membres. Nous mettons en valeur des histoires trop souvent sous-représentées, telles que les points de vue des Canadiens d’origine tamoule pendant les manifestations de 2009, ou l’histoire des employés de chemin de fer noirs dans le Canada du début du XX siècle. Le Myseum cherche à fournir des programmes à l’écoute des communautés, qui impliquent directement leurs partenaires et incluent, par conséquent, une grande diversité d’opinions. Parmi les pratiques exemplaires en matière de programmes engagés auprès des communautés, on peut citer : écouter et répondre aux besoins des communautés, concevoir des programmes main dans la main avec les partenaires communautaires, ou encore, adopter une approche flexible des partenariats et de la planification. Pour le Myseum, l’objectif ultime de ce type de programmation est de raconter les histoires de Toronto, passées, présentes et futures. Ce modèle a toujours bien fonctionné pour nous, mais nous ignorions combien il serait important en période de crise.
Écouter et répondre aux besoins exprimés par les communautés
Le travail du Myseum prend sa source dans ses partenariats. La majeure partie de notre programmation repose sur un modèle de production participative, auquel nous invitons la communauté, les équipes de conservation, les organisations culturelles, les artistes, les historiens, et bien d’autres, à prendre part. Les partenaires partagent alors un thème, un sujet ou un concept en lien avec la ville, qu’ils comptent développer à travers une exposition, une représentation ou toute autre forme d’expression créative. Lorsque la pandémie de Covid-19 s’est abattue, nous avons compris que nous vivions un moment important et qu’il était nécessaire de transformer notre discours. Nous nous sommes donc adressés à notre communauté pour identifier les thèmes et les sujets clés qui cibleraient les différents besoins des multiples communautés culturelles. A partir de cela, nous avons lancé In the Time of COVID, une série d’événements en ligne qui aborde la façon dont plusieurs secteurs s’adaptent à cette nouvelle forme de normalité. Nous avons tout d’abord étudié l’évolution de l’intérêt porté à l’art et aux artistes pendant les crises, dans une série en deux parties : Art in the Time of COVID-19. Nous avons ensuite analysé l’importance de la solidarité communautaire et le lien entre travailleurs précaires et travailleurs essentiels, dans Stories of Collective Care in the Time of COVID-19. Cette série d’événements continuera à s’adapter pour répondre aux besoins de la communauté selon l’évolution de la situation, en traitant de thèmes tels que l’aide mutuelle ou encore l’urbanisme face à un avenir incertain.
Concevoir des programmes main dans la main avec les partenaires communautaires
La série In the Time of COVID nous a permis de collaborer avec des partenaires communautaires, existants et nouveaux, pour concevoir ensemble une programmation pertinente. Les organisations communautaires, les groupes et les individus n’ont généralement pas les capacités, ni les ressources pour se consacrer à une planification sur le long terme. Par conséquent, ils mettent le plus souvent en place des actions à court terme.
C’est le Kwentong Bayan Collective (KBC), un collectif composé de deux artistes vivant à Toronto et ayant déjà travaillé sur la programmation du Myseum, qui a été choisi pour résider au Myseum en 2020. Le Myseum a décidé de collaborer avec le KBC pour créer, ensemble, la série Stories of Collective Care, dans le but d’explorer les stratégies collectives de solidarité, les bases d’organisation, et les pratiques culturelles issues de cette période de transition mondiale. Des membres de la communauté ont ainsi débattu des idées et des problèmes soulevés par ce que nous pouvons apprendre des manifestations de solidarité dans le quartier torontois de Parkdale. Ils ont notamment évoqué comment nous pourrions mieux protéger les travailleurs qui assurent des services essentiels, bien que marginalisés par le système.
Adopter une approche flexible des partenariats et de la planification
La programmation du Myseum a toujours été pensée autour de deux grands programmes annuels, de façon à optimiser du temps pour des programmes flexibles et d’actualité le reste de l’année. Notre programme annuel phare, le Myseum Intersections Festival, étudie des visions intersectionnelles de Toronto par le biais d’expositions, d’événements, d’ateliers et de visites collaboratifs. En raison de la pandémie, l’édition 2020 du festival a dû être reportée. Nous avons donc travaillé avec les participants afin qu’ils présentent certains aspects de leurs projets en ligne. Pour cela, nos partenaires ont dû faire preuve d’une incroyable flexibilité, afin d’adapter leur programmation à ce nouveau cadre déterminé par la Covid-19.
Par exemple, un événement appelé Pull Up! devait étudier et documenter les expériences de la jeunesse Noire dans les lieux de fête alternatifs de Toronto lors d’une exposition et d’une représentation en direct. Dans l’édition Quarantaine, ce projet abordait la situation des expériences musicales numériques et la façon dont les créateurs revoient leur stratégie en ces temps de crise sanitaire, à travers une réunion-débat, une représentation virtuelle et une campagne de collecte de fonds, afin de rémunérer les DJ pour leurs performances en ligne.
Notre approche flexible de la programmation nous a permis de montrer les problèmes auxquels sont confrontés, et que souhaitent souligner, les différentes communautés en temps réel. Des enquêtes réalisées après les événements nous ont appris que 80 % des sondés ont le sentiment d’acquérir de nouvelles connaissances précieuses, ce qui laisse à penser que nos partenaires ont pu augmenter la visibilité de leur travail et des problèmes rencontrés lors de cette pandémie. Nous avons également découvert que l’intérêt pour ces thèmes ne s’arrête pas aux frontières; il est partagé dans le monde entier, grâce aux réseaux sociaux et aux événements virtuels, réunissant des participants de 30 pays différents.
Au Myseum, nous sommes honorés de fournir une plateforme à la programmation accessible, de faire résonner les voix sous-représentées et d’œuvrer pour trouver des solutions aux questions de solidarité pour les personnes vulnérables, de fragilités intersectionnelles révélées par la Covid-19 et des pertes de revenu des artistes tout au long de cette pandémie mondiale, et au-delà.
Coordination éditoriale par Kendra Thompson
Références et ressources
Art in the Time of COVID-19, partie 1
Stories of Collective Care in the Time of COVID-19, partie 2
Plus d’informations sur le site internet du Mysem de Toronto
Plus d’informations sur le collectif Kwentong Bayan
Plus d’informations sur le Myseum Intersections Festival
Images de résistance, archives des actions
Plus d’informations sur l’événement Pull Up!
LISEZ TOUS LES ARTICLES DE ICOM VOICES
Les opinions exprimées dans l’article n’engagent en aucune façon l’ICOM et relèvent de la responsabilité de son auteur.
Pour participer au nouvel appel à contributions de ICOM Voices, en partageant vos expériences, cliquez ici.