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août 7, 2025

ICOM Voices Des cours royales au renouveau du patrimoine en Inde : le camp de formation au patrimoine culturel au musée MSMS II

Sakshi Jain

Boursier d’Erasmus Mundus et ancien assistant de conservation au musée MSMS II

Mots clés : implication de la jeunesse, éducation muséale, portée numérique, patrimoine matériel et immatériel, ateliers

Le patrimoine culturel est une ressource inestimable ; il façonne les identités et favorise la création de liens entre les générations. Le musée Maharaja Sawai Man Singh II (MSMS II) à Jaipur, en Inde, dirigé par la famille royale de Jaipur, occupe depuis 1952 un rôle de premier rang dans la préservation du patrimoine et l’implication du public. En témoigne aujourd’hui le camp de formation au patrimoine culturel, un programme d’un mois qui a lieu chaque année depuis plus de 26 ans et qui permet aux jeunes participants de se familiariser au riche patrimoine du Rajasthan à travers des ateliers interactifs, alliant le charme des pratiques anciennes à la possibilité d’atteindre un public plus large grâce aux plateformes numériques modernes.

Fig. 1. Affiche du camp pour l’année 2024. © Musée MSMS II

L’origine du programme : du « Gunijankhana » au camp culturel

Le musée MSMS II perpétue une longue tradition de promotion de l’art et de la culture ; elle remonte en effet au « Gunijankhana », une initiative du Maharaja Ram Singh II datant du milieu du dix-neuvième siècle. Le Gunijankhana était à l’époque un centre culturel très dynamique, où les artistes spécialisés dans les arts du spectacle comme la musique, la danse et le théâtre pouvaient perfectionner leur art sous mécénat royal, ce qui favorisa une renaissance culturelle à Jaipur.

Cet héritage perdure aujourd’hui à travers l’initiative « Amis du Musée », une galerie interactive située dans l’enceinte du musée où les artistes et artisans locaux peuvent montrer leurs talents. Les visiteurs ont la possibilité d’assister à des démonstrations de savoir-faire artisanaux traditionnels en direct, ce qui rend immersive leur expérience du musée tout en apportant un soutien économique aux artisans à travers la vente directe de leurs créations.

C’est dans ce contexte qu’est née l’idée d’un camp annuel de formation au patrimoine culturel, organisé par le Trust du musée Maharaja Sawai Man Singh II en collaboration avec l’école d’art Rangreet et l’école Saraswati Kala Kendra. Conçu à l’origine comme une expérience collaborative entre le musée et les artisans locaux, le camp a depuis évolué pour devenir l’un des programmes culturels les plus importants de l’Inde, valorisant les formes artistiques traditionnelles et amenant une nouvelle génération à célébrer et préserver le patrimoine immatériel.

Fig. 2. Jeunes filles jouant du Sitar Vadan, instrument qu’elles ont appris à jouer durant le camp d’été de 2013. © JaipurBeat.

Au fil des ans, les différents ateliers ont mis à l’honneur la photographie, le théâtre, des instruments de musique comme le pakhavaj et le sitar ou encore des arts traditionnels comme le chant dhrupad, la dance kathak, la peinture miniature, la peinture Mandana et la calligraphie décorative (connue sous le nom de « Su Lekhan »). Le programme s’est encore davantage diversifié en 2023 en ajoutant à l’offre du camp l’initiation à la fresque rajasthani (« Aaraish ») et à la poterie bleue de Jaipur. Toutes ces activités se déroulent dans l’emblématique cour Sarvato Bhadra et se terminent toujours par une cérémonie de clôture animée au cours de de laquelle les participants montrent leurs talents et reçoivent un certificat en guise de souvenir de cette expérience enrichissante.

Fig. 3. Sa Majesté le Maharaja Sawai Padmanabh Singh et des participants à différents ateliers lors du camp de 2024. © Trust du musée MSMS II

Le camp est programmé de façon stratégique en mai-juin durant les vacances d’été − malgré la chaleur éprouvante qui peut atteindre 50°C − afin de permettre la participation des écoliers et des étudiants. Les dates sont synchronisées sur le calendrier scolaire afin d’assurer une plus grande présence des jeunes.

Les coûts de participation sont réduits au minimum pour que l’aspect économique ne puisse pas constituer une barrière ; fixé au début à 200 roupies par cours (environ 3 euros), le prix a augmenté graduellement pour atteindre 500 roupies (environ 6 euros) en 2024. Le programme a vu la participation féminine croître au fil des années, reflétant son aspect inclusif et une implication croissante des femmes dans la préservation culturelle. Le camp est devenu une plateforme dynamique qui favorise l’implication des jeunes et reflète en cela la mission du musée, qui, dans une nation en développement où l’éducation muséale est en pleine évolution, cherche à combler le fossé entre le patrimoine traditionnel et les publics contemporains.

L’édition 2024 : étendre la portée et l’impact du camp

L’édition 2024 du camp de formation au patrimoine culturel a marqué un tournant significatif quant à la portée de l’événement, qui, comme nous allons le voir, a adopté les médias numériques pour amplifier son impact. Inauguré lors de la Journée internationale des musées (le 18 mai 2024) par sa Majesté le Maharaja Sawai Padmanabh Singh, le camp a eu pour thème principal « Les musées pour l’éducation et la recherche ». Le Maharaja a souligné la nécessité de familiariser les plus jeunes générations au riche patrimoine culturel de l’Inde, exprimant son souhait de transformer le camp d’une durée d’un mois en un programme de six mois ou un an.

Fig. 4. Journée d’inauguration du camp d’été 2024 avec Majesté le Maharaja Sawai Padmanabh Singh au centre et des participants autour de lui. © Trust du musée MSMS II

Le camp 2024 a accueilli plus de 300 participants, ce qui prouve sa popularité et son influence grandissantes. De plus, des élèves de The Palace School se sont joints aux enfants du foyer Naya Sawera pour effectuer une visite du musée et du complexe palatial, entraînant une participation importante à l’inauguration du camp. Les ateliers offraient une palette variée d’expériences d’apprentissage traditionnelles et contemporaines, notamment la calligraphie « Su Lekhan », la peinture miniature rajastani, la dance folklorique kathak, l’Aaraish (fresque rajastani), la flûte et le style de musique classique dhrupad. Le camp a également innové en intégrant l’astrologie védique[1] à l’offre, associée à une visite immersive du Jantar Mantar, un site du patrimoine astrologique de Jaipur datant du dix-huitième siècle érigé par le Maharaja Jai Singh II afin d’observer les phénomènes célestes avec précision.

Les réseaux sociaux : amplifier la portée du patrimoine

Les réseaux sociaux ont permis d’augmenter la portée et le succès du camp. Des plateformes comme Instagram et Facebook, dont les comptes sont gérés par la famille royale de Jaipur, le musée MSMS II ou des partenaires tels que les écoles Rangreet et Saraswati Kala Kendra, ont accru de façon significative sa visibilité mondiale. Le jeune Maharaja, joueur de polo renommé et ambassadeur culturel, a tiré profit de sa popularité pour mettre en valeur l’événement. Une publication de 2023 a par exemple recueilli plus de 10 000 « j’aime » et 100 commentaires sur la page Instagram de la « famille royale de Jaipur », tandis que des posts Facebook apparentés ont été vus plus de 2 500 fois et ont recueilli plus de 90 commentaires. En 2024, des posts sur le compte Instagram de l’école d’art Rangreet ont obtenu plus de 800 « j’aime », et des reels du musée MSMS II ont été visionnés plus de 77 000 fois. Les participants partagent par ailleurs souvent sur Internet des photos ou des vidéos de leurs réalisations dans les camps, ajoutant une touche personnelle à l’initiative tout en tirant parti des tendances numériques actuelles : le camp devient ainsi à la fois une célébration du patrimoine et un projet culturel tourné vers l’avenir. Cet usage efficace des plateformes numériques montre comment le patrimoine immatériel peut, aujourd’hui, être promu avec succès.

Fig. 5. Cérémonie de clôture du camp d’un mois. © Trust du musée MSMS II

Conclusion

Le camp annuel de formation au patrimoine culturel au musée MSMS II continue de se distinguer comme une initiative de premier plan qui offre aux jeunes une expérience d’apprentissage immersive pour une somme modique. Les retours des participants soulignent tous les bénéfices obtenus en à peine un mois, confirmant le succès du camp, qui encourage l’appréciation culturelle et le développement des compétences. L’édition 2024 a élargi notablement sa portée à travers une plus grande diffusion numérique et différents ateliers, mais les éditions futures pourraient avoir à relever certains défis logistiques, tels que la chaleur estivale extrême, et chercher à allonger la durée du programme, à accroître l’accessibilité grâce à un système de bourses ou encore à intégrer des ateliers plus avancés pour d’anciens participants souhaitant renouveler l’expérience.

En alliant savamment les arts traditionnels à des outils modernes, le camp de formation pour le patrimoine culturel au musée MSMS II est un modèle d’innovation en matière d’éducation muséale.

[1]     L’astrologie védique, ou Jyotish Shastra, est un ancien système astronomique et astrologique indien qui interprète l’influence des corps célestes sur les affaires humaines. Elle se sert du zodiaque sidéral, des périodes planétaires (dashas) et des cartes divisionnelles pour prédire la destinée et aider à la prise de décision.