Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau

Toutes les actualités

janvier 24, 2024

ICOM VoicesInteractions avec les structures d’art du Kirghizistan : l’École d’art contemporain de Bichkek

Diana Ukhina

École d’art contemporain de Bichkek, Kirghizistan

Mots clés : Kirghizistan, BiSCA, art contemporain, structures de l’État, musées

L’École d’art contemporain de Bichkek (Bishkek School of Contemporary Art, BiSCA) est un collectif socialement engagé qui a sa propre organisation.

À travers diverses actions, il collectionne, encourage et promeut les pratiques, les débats et les expériences dans le domaine de l’art. Le collectif travaille autour des principes de circulation, d’accumulation et de formation du savoir ; il réfléchit à la place qu’occupe l’art dans la vie, crée des espaces d’échange et archive ses activités sociales et artistiques. Ses pratiques contribuent au développement d’une base méthodologique et théorique ainsi qu’à la reconnaissance de l’art contemporain comme partie intégrante de la culture kirghize. Les neuf personnes qui travaillent bénévolement à la BiSCA ont des expériences, des activités et des intérêts différents mais partagent toutes le même goût pour l’art.

Depuis sa fondation en 2020, la BiSCA a développé plusieurs champs d’activité permanents, comme l’École de méthodologie pour la recherche artistique (approches de production de savoir basées sur les pratiques artistiques locales), le festival Trash (écologie, économie politique, justice sociale et climatique), Musées comme patrimoine public (musée participatif, histoire de l’art du Kirghizistan, sociologie culturelle, mémoire des musées), la publication périodique en ligne ARALASH (auto-archivage et contextualisation), ainsi que d’autres activités relatives à l’investigation, à la réflexion et à la production artistiques en lien avec les communautés locales et le contexte politique et culturel.

Dans cet article, je présenterai trois projets de la BiSCA qui s’inscrivent dans le cadre de notre domaine d’activités nommé Musées comme patrimoine public. Au Kirghizistan, ancienne république soviétique, les musées font partie des quelques lieux qui ont le potentiel inexploité de participer à la libération culturelle et sociale. Le pays compte plus de 100 musées. Selon les données officielles, ils sont classés de la façon suivante : musées républicains, régionaux, urbains, ruraux, scolaires, privés et maison-musées. Malgré un nombre important de musées pour un pays de taille si réduite, ces musées ne constituent pas des centres sociaux et culturels auxquels se référer dans leur environnement. En raison des transformations et de la détérioration des structures politiques, sociales et économiques, les nombreuses infrastructures culturelles du pays telles que les bibliothèques, les écoles de musique, les maisons de la culture ou les musées (et les objets d’art qui s’y trouvent – certains en bon état, d’autres détériorés ou très abîmés) ne bénéficient pas des ressources émotionnelles, mentales et financières nécessaires pour créer du sens et offrir des opportunités favorisant la créativité et la socialisation des communautés locales. Dans la mesure où nous sommes des acteurs culturels indépendants, nous avons conscience de notre droit à travailler avec notre patrimoine culturel. S’appuyer sur la base artistique qui existe déjà dans les musées est une manière de parvenir à des changements sociaux par le biais du patrimoine public.

De 2020 à 2022, la BiSCA a mis en place trois projets sur le long terme avec les musées d’État du Kirghizistan dans la capitale, Bichkek, ainsi que dans les régions de Talas et d’Issy-Kul.

Un projet de recherche artistique de deux ans : « L’art du Kirghizistan dans les pratiques des femmes artistes du XXe siècle : peinture, dessin, sculpture et céramique » (2021-2022)

Fig. 1. Plan pour la scénographie de l’exposition The Air We Breathe. ©BiSCA

Ce projet de recherche, mené de façon indépendante, est une exploration de la mémoire institutionnelle du Musée national des Beaux-Arts qui porte le nom de G. Aitiev[i] et de ses collections relatives aux œuvres des femmes artistes du XXe siècle, centrée sur leur langage visuel et leurs histoires. C’est un projet organisé conjointement entre la BiSCA et le studio d’art SYNERGY. J’ai été à l’initiative du commissariat d’exposition et des recherches, conduites avec ma collègue de la BiSCA Alima Tokmengenova. L’étude s’est déroulée en plusieurs phases durant les années 2021 et 2022 :

1) Nous avons travaillé avec les documents de la bibliothèque du musée ayant trait à des œuvres d’art réalisées par des femmes kirghizes au cours du XXe siècle. Cette première phase a abouti à un document de recherche présenté sous la forme d’une exposition intitulée Je te regarde, tu me regardes, disponible sur le site web du studio d’art SYNERGY.

2) Nous avons rassemblé des données des bibliothèques de la ville, des archives de l’Union des Artistes ainsi que des archives de l’État. Nous avons également conduit des entretiens. Notre objectif était de préparer une série de conférences.

3) Nous avons mené des recherches dans les réserves du musée. Avec toutes ces données, j’ai monté une exposition de recherche intitulée The Air We Breathe [L’air que nous respirons], qui présente 22 femmes artistes et 140 de leurs œuvres, accompagnées de pièces d’art sonore et d’une zone de lecture où étaient accessibles des documents (des exemplaires de livres) sur ces femmes artistes.

4) Nous avons continué à rassembler, organiser et analyser de nouvelles données afin de préparer un catalogue de tout le projet de recherche intitulé L’art du Kirghizistan dans les pratiques des femmes artistes du 20e siècle : peinture, dessin, sculpture et céramique. S’agissant d’un catalogue d’exposition, le livre n’inclut pas toutes les artistes dont les œuvres se trouvent dans le musée, mais il comporte le travail de 23 de ces artistes, accompagné d’une biographie pour plus de la moitié d’entre elles. Ce livre est devenu l’une des rares ressources contemporaines sur l’histoire de l’art kirghize s’appuyant sur des approches de recherche propres à la conservation et à l’art. Il a été distribué aux musées, aux bibliothèques, aux universités ainsi qu’aux espaces artistiques indépendants du Kirghizistan.

Fig. 2. Réserve de la collection du Musée national des beaux-arts du Kirghizstan, qui porte le nom de G. Aitiev. ©BiSCA

Fig. 3. Exposition The Air We Breathe. ©BiSCA

Un projet éducatif de dix mois : le Musée de la Participation dans la région d’Issyk-Kul (2021)

Le but de ce projet (organisé par Oksana Kapishnikova et Alima Tokmergenova, avec mon expertise) était de diffuser des idées sur la manière d’impliquer les communautés locales dans les expositions et les programmes de musée. Nous avons mené ce travail avec trois institutions. Le projet a commencé par trois jours d’ateliers théoriques sur les musées participatifs et les concepts de la nouvelle muséologie, en se référant à des exemples d’expositions artistiques locales basées sur la recherche. L’atelier visait à construire des relations avec les employés de musées, à apprendre à connaître leur travail, à partager les expériences et les méthodes qui peuvent être utilisées lorsqu’on travaille avec les communautés – telles que les cartes mentales ou l’art-thérapie, par exemple. Au cours des six mois suivants et avec le soutien précieux des conservateurs de la BiSCA, deux de ces musées ont organisé des expositions basées sur certains principes du concept de participation muséale. La publication ARALASH-7, destinée aux musées et aux professionnels de l’art, a été conçue comme un manuel permettant de faciliter l’organisation des expositions selon les principes du musée participatif. Elle a été publiée et distribuée aux musées, aux bibliothèques et aux espaces artistiques indépendants de Bichkek.

Fig. 4. et fig.5. Vernissage de l’exposition dans la région d’Issyk-Kul. ©BiSCA

Projet de recherche et archivage numérique de la collection du musée Herzen dans la province de Talas

En 2021, plusieurs membres de la BiSCA ont effectué une expédition artistique dans la province de Talas, organisée par Bermet Borubaeva et Oksana Kapishnikova. Celle-ci a consisté à visiter plusieurs musées locaux, fondés à l’époque soviétique, parmi lesquels figuraient six musées de cette petite région. L’objet principal de la recherche était cependant le musée fondé à l’initiative de l’artiste autodidacte Teodor Herzen en 1962, dans le village d’Orlovka (renommé aujourd’hui Ak-Dobo). Le musée détient une importante collection de beaux-arts provenant d’artistes kirghizes et internationaux, mais cette collection se trouve aujourd’hui dans un mauvais état. Dans un texte écrit par Oksana Kapishnikova, on peut lire : « Lorsque je me suis rendue pour la première fois au musée Herzen, […] je me suis vite aperçue que la collection avait été sélectionnée avec un grand soin et une profonde connaissance de l’art. Aucune œuvre d’art n’était là par hasard. La question que je me suis posée était de savoir quelle personne, quelle équipe avait réussi à rassembler une collection de musée aussi intéressante et d’une telle valeur en termes de qualité artistique. » Le festival Talas. Art. Cinéma a été organisé par l’équipe de la BiSCA dans la ville de Talas. Ainsi, le projet comportait plusieurs niveaux : l’investigation sur les musées locaux qui se basent sur les principes de l’auto-organisation d’une communauté ; la recherche sur la collection du musée Herzen, ainsi que sa numérisation et son archivage ; l’implémentation d’un programme d’art contemporain pour les citoyens et les enfants de Talas. Le programme du festival et certains des résultats de notre recherche sont présentés dans le magazine en ligne ARALASH-5.

Fig. 6. Exposition en plein air fondée sur deux ateliers organisés par BiSCA pour les enfants et les citoyens de la province de Talas. ©BiSCA

Fig. 7. Expédition artistique dans la province de Talas. ©BiSCA

Conclusion

Si l’on analyse notre travail à travers le prisme du champ d’activités de la BiSCA intitulé École de méthodologie pour la recherche artistique, les approches structurelles de la BiSCA dans son travail avec les institutions de l’État, dans le remodelage de l’imagination et dans la production de savoir, peuvent être systématisées de la façon suivante :

1) étudier l’état du musée ;

2) travailler avec la collection et les documents du musée ainsi qu’avec sa façon de mettre en place et de promouvoir ses approches de conservation, de recherche et d’analyse des discours ;

3) mener des programmes éducatifs et artistiques : a) pour les employés des musées ; b) pour les communautés locales, à travers des événements et des programmes artistiques interdisciplinaires.

[i]      Le musée d’art principal du Kirghizistan.