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août 9, 2025

Réseau La définition des musées de l’ICOM et sa traduction dans les langues autochtones du Pérou

ROMMEL ÁNGELES FALCÓN

Président, ICOM Pérou

À l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones, nous avons invité le président de l’ICOM Pérou à partager son parcours et son processus de traduction de la définition de musée de l’ICOM dans les langues autochtones du Pérou.

Diffuser la nouvelle définition des musées n’a pas seulement été un exercice d’enseignement, mais aussi d’apprentissage et d’inclusion, permettant de promouvoir le dialogue entre les musées et les différentes communautés qui parlent, apprennent et conceptualisent le monde de manières diverses.

En 2022, la nouvelle définition des musées a été adoptée lors de l’Assemblée générale extraordinaire de l’ICOM tenue à Prague. En Amérique latine et dans les Caraïbes, des efforts sont en cours pour appliquer cette définition à la pratique muséale. Au Pérou, elle est diffusée auprès des musées et des institutions nationales.

Bien que l’espagnol soit la langue principale du Pérou, notre territoire divers et pluriculturel comprend trois grandes régions (côte, sierra et forêt amazonienne) où l’on parle 48 langues (4 dans les Andes et 44 dans l’Amazonie), parmi lesquelles le quechua et l’aymara, parlés par des millions de personnes. Selon la Base de données officielle des peuples autochtones (BDPI) du ministère de la Culture, on dénombre au Pérou 9 235 localités — espaces géographiques habités et/ou où s’exercent les droits collectifs des peuples autochtones, occupés traditionnellement ou reconnus par l’État — regroupant 55 peuples autochtones, dont 51 originaires de l’Amazonie et 4 des Andes (lien).

Figure 1 : Brochure imprimée par l’ICOM Pérou La nouvelle définition du musée dans les principales langues indigènes du Pérou. Lima 2025.

Les peuples autochtones représentent une pluralité ethnique et culturelle antérieure à l’État, conservant tout ou partie de leurs institutions distinctives et possédant une conscience collective de leur identité. Ils détiennent un immense héritage culturel, matériel et immatériel, qui doit être préservé pour assurer sa durabilité et en faire bénéficier les générations présentes et futures. Les musées doivent jouer un rôle clé à cet égard.

Le concept de musée n’existe pas dans les langues autochtones du Pérou. Dans les sociétés andines, l’identité est liée aux lieux sacrés associés à leurs origines : les ancêtres peuvent être des montagnes, la mer, un lac ou un héros mythique fondateur. Les objets avaient une connotation sacrée. Selon cette perspective, les musées pourraient être vus comme des lieux où sont conservés des êtres sacrés déplacés de leur lieu d’origine. Cette perception peut se ressentir dans des musées comme le Quai Branly à Paris, où des sculptures d’Afrique, d’Océanie, d’Asie ou des Amériques semblent dotées de vie et d’une énergie latente.

Figure 2 : Détail d’une peinture amazonienne moderne racontant un mythe de la région. Ruraq Maki Fair 2023. Photo Rommel Angeles

C’est dans ce contexte que l’ICOM Pérou a décidé d’explorer la diffusion de la nouvelle définition des musées auprès des communautés autochtones. Le premier défi fut de trouver des traducteurs officiels ou des locuteurs capables de comprendre et de traduire des notions telles que musée, patrimoine matériel et immatériel, accessibilité, inclusion, diversité, durabilité, éthique, plaisir et échange de connaissances — des termes absents de certaines langues. Nous avons collaboré avec un traducteur officiel en quechua, un traducteur en aymara et des locuteurs de plusieurs langues amazoniennes, en citant systématiquement les personnes ayant fourni les traductions.

Ces informations ont été présentées à Emma Nardi, présidente de l’ICOM international, lors de l’Assemblée générale de Marseille en 2024, où l’initiative a été saluée.

En 2025, nous avons édité un livret contenant la nouvelle définition du musée dans les principales langues autochtones du Pérou. Sa distribution a commencé en mai, au Musée national de la culture péruvienne, à l’occasion de la Journée internationale des musées. Ce choix est significatif, car ce musée travaille en interaction avec de nombreuses communautés autochtones qui y exposent leurs objets culturels.

Nous estimons que la diffusion doit viser à la fois la communauté muséale et les populations autochtones concernées. C’est pourquoi nous avons profité de la foire artisanale Ruraq Maki (« Fait main »), organisée par le ministère de la Culture à Lima en juillet (fête nationale) et en décembre (Noël). Cet événement réunit plus de 100 artisans quechuas, aymaras et amazoniens venus de tout le pays, dont beaucoup se déplacent depuis des zones reculées avec leur art, leur langue, leur identité et leurs espoirs.

En 2025, nous avons participé à cette foire, distribué le livret et échangé avec des artisans et des habitants parlant le quechua, l’aymara, l’awajún et même le yanesha — une langue amazonienne non traduite initialement.

Figure 3 : Artisan textile de la région de Cusco, langue maternelle : Quechua. Foire de Ruraq Maki 2025. Photo Rommel Angeles

Nous avons constaté que le mot « musée » n’existe pas dans ces langues, mais qu’il peut être exprimé de diverses manières. En quechua d’Ayacucho, par exemple, on peut le traduire par yachachina wasi (« lieu d’exposition »).

Un moment marquant fut notre échange avec Eliseo Miguel López, un Yaneshá qui affirme que son peuple existe depuis 3 500 ans et vit dans l’Amazonie centrale. Il a jugé excellente la nouvelle définition du musée, insistant sur son rôle de préservation, de revalorisation et de mise en valeur. En yanesha, musée se traduit par « lieu d’exposition ». Pour une communauté menacée de disparition à cause de la désintégration de son identité culturelle, de son territoire, de sa philosophie et de sa pensée, disposer d’un musée précolonial yanesha serait essentiel pour sauvegarder et transmettre leurs savoirs ancestraux et leur culture traditionnelle avant qu’ils ne disparaissent.

En juin, nous avons été invités au III Forum de Cusco pour la protection du patrimoine culturel face au trafic de biens culturels, organisé par le ministère des Affaires étrangères, l’UNESCO Lima et le ministère de la Culture. L’événement a réuni des ministres et des représentants de la culture d’Amérique latine, des Caraïbes, des États-Unis, d’Espagne et d’Italie. Nous avons remis le livret aux ministres de la Culture du Guatemala, de Colombie, du Mexique et de Bolivie, entre autres. Dans des pays comme le Guatemala et le Mexique, qui possèdent plusieurs langues autochtones, l’expérience péruvienne de traduction de la définition dans ces langues a été jugée digne d’être reproduite.

Figure 4 : Villageois de la communauté amazonienne Awajun lisant la brochure présentant la nouvelle définition de musée de l’ICOM. Foire de Ruraq Maki 2025. Photo Rommel Angeles

Nous pensons que ce n’est qu’un début, ouvrant un large éventail de possibilités, notamment pour démocratiser le savoir, faire connaître ce qu’est un musée et s’adresser à des millions de citoyens ayant les mêmes droits de préserver et de transmettre leurs connaissances et leur patrimoine culturel, dans un monde en perpétuel changement où de nombreux facteurs peuvent menacer notre mémoire collective. Nous sommes convaincus que la nouvelle définition du musée est précieuse pour les musées, leurs publics et les communautés autochtones.

Figure 5 : Villageois de la communauté amazonienne Yanesha lisant la brochure présentant la nouvelle définition des musées de l’ICOM. Foire de Ruraq Maki 2025. Photo Rommel Angeles

La définition des musées de l’ICOM et sa traduction dans les langues autochtones du Pérou

QUECHUA Chanca

“Museoqa huk wasin kachkan, mana qullqillapaq llamkaq, runakunata sapa kuti chaskiq, qatipaykunata ruraspa imakunata huñuspa,  waqaykuspa, kasqanmanta umaymanaspahinallataq riqsichispapas. Lliwrunakunapaqmi kichasqa kan, chaypin tukuy rikchaq kasqanchikmanta chaninchanku kuska kausay atikusqanmanta riqsichispa. Runa huñunakuykunawan kuska llamkasqanraykum museokunaqa allinpuni yachaykunata mastarinku, imakunamanta riqsiy atikunanpaq, kasqankunamanta hamutaykunapaq hinaspa yachayninchikkunata tupachinapaqpas”

Traducteur : Ever Villanueva

QUECHUA Cusco

“Museo nisqaqa mana qullqipaq, wiñaypaq kaq institucionmi, sociedadpa servicionpi, chaymi investigan, huñun, waqaychan, interpretan hinaspa qawachin herencia tangible hinaspa intangible nisqakunata. Llaqta runakunapaq kichasqa, haypay atina hinaspa llapanpaq, museokunam kallpanchan imaymana kayta hinaspa sustentabilidad nisqatapas. Ayllukunapa participacionninwanmi museokunaqa llamkanku hinaspa willanku ética nisqapi hinaspa profesional nisqapi, chaypim ofrecenku imaymana experienciakunata educacionpaq, kusikuypaq, yuyaymanaypaq”. yachaykunata t’inkinakuytapas”

AIMARA

“Museo ukaxa mä institución sin fines de lucro, permanente a la servicio de la sociedad, ukaxa yatxatiwa, apthapiwa, waqaycharakiw, qhanañchi ukhamaraki uñacht’ayiwa patrimonio tangible ukhamaraki intangible. Taqi jaqinakaru jist’aratawa, puriñjama ukhamaraki taqiniru, museonakaxa ch’amanchapxi kunaymana ukhamaraki sustentabilidad. Ayllunakana chikancht’asitapampixa, museonakaxa irnaqapxi ukhamaraki yatiyapxi ética ukhamaraki profesional ukhama, uñacht’ayasa kunaymana experiencias yatichañataki, kusist’añataki, amuyt’añataki”. ukat yatiñanak mayjt’ayaña”

SHIPIBO

“Museo riki westiora institución korikiayati jatoakinti, jain itina itanribí, jonibo akinaí, investiganai, jato tsinkiai, jato koirnaraí, jato ninkaxonaí itanribi jato oinmaí patrimonio material e inmaterial akanaí. Nato museoboanra jato fomentanaí diversidad itan sostenibilidad. Jatibi jemabora ikanai jain participani, nato museoboanra akai itanribí yoyaí, ponte teti itan profesionalmente.

Natonra jato meniaí mesko keska experiencia ati kirika akanainko, ja disfrutanaí, ja shinametaí. Onankana jawekibo menianantí.”

Traductrice : Seleni Rojas Sinti

AWAJUN

“Museo tawa duka najanamuwai takat ematín tujash duka nuwi takaku batsamsa kuwichkinum wiyakuch wetaí atii timauchuwai, ayatak timauwai papii aujtusa, ainja juki pegkegiish tukita nunu ejetai atii timauwai. Nunu aikata takuik etegja yajuaka shiig kuwitaamsa ukusag iwainatai atii timauwai paantu akushkam tuja paachau akushkam aanmantin kuashat nuigtu tuke megkaekachu atí tabaunum. Duka awai ujaimu así tsawantai antes ainau diinak tuwagtai tuja museo así wainkagtawai nigkikek wemaitsui así batsatkamu ainaush puyatjus ijuntus emamainai, museos tawa duka inimui kuwashat dekamun yapaija chicham antugdaimaunum”

Traductrice : Jackeline Naugkai Cirio Katip

Nous tenons à remercier ICOM International, en particulier Emma Nardi, Jaime Valentín Coquis et Amalia Castelli d’ICOM Pérou, Estela Miranda, directrice du Museo de la Cultura Peruana et Blanca Alva Guerrero, directrice générale des musées du ministère de la culture.