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juin 18, 2024

ICOM VoicesL’Assemblée des jeunes du château de Versailles, entre jeunesse, développement durable et citoyenneté

Servane Hardouin-Delorme

cheffe de projets culturels au Château de Versailles (France), responsable du programme Assemblée des jeunes

Mots-clés : médiation culturelle, participation des publics, rôle social du musée, développement durable, citoyenneté

En septembre 2023, le château de Versailles a lancé un programme citoyen à destination de la jeunesse : l’Assemblée des jeunes. Durant une année, 40 jeunes de 16 à 28 ans ont été bénévolement associés aux équipes du Château dans une réflexion autour du musée durable et citoyen de demain.

Entre participation muséale et citoyenneté

Le château de Versailles a pour particularité d’être à la fois un musée, un monument historique et un symbole politique, de la Révolution française à la tenue des Congrès constitutionnels aujourd’hui, en passant par l’accueil des Assemblées parlementaires sous la IIIe République et l’élection du Président sous la IVe République.

En écho à cette identité politique, le château de Versailles propose, à destination de ses différents publics, des programmes culturels et éducatifs sur le thème de la citoyenneté. Dans ce cadre, l’Assemblée des jeunes a été lancée afin de proposer aux publics étudiants et jeunes adultes de faire au Château l’exercice de leur citoyenneté. Il s’agit de permettre à un groupe représentatif de jeunes citoyens de découvrir le fonctionnement d’un musée, de rencontrer ses acteurs, de réfléchir et de s’exprimer sur les liens entre musées et société.

Se voulant participatif et innovant, le programme a puisé ses inspirations dans des sources diverses, aussi bien le modèle anglo-saxon de la participation muséale des jeunes au sein de « Youth collectives »[1], que dans le modèle français des « Conseils régionaux des jeunes »[2]. Il s’agit, dans les deux cas, de donner la parole à un groupe de jeunes engagés et de donner à cette parole les moyens de son efficacité – c’est-à-dire former et informer les jeunes, tout en assurant une écoute de la part du musée.

UNE ASSEMBLÉE DE JEUNES

Les jeunes de l’Assemblée ont été recrutés à travers un formulaire d’inscription relayé par le site internet, les réseaux sociaux et la newsletter du Château. Plus qu’un curriculum, les critères de recrutement étaient l’âge (entre 16 et 28 ans), l’intérêt pour l’un des trois piliers du programme (culture, écologie, citoyenneté) et la disponibilité (se rendre au Château en transports en commun).

Le groupe recruté réunit 65% d’étudiants à temps plein, 15% d’alternants, 15% de jeunes actifs et 5% de jeunes en formation ou en recherche d’emploi, avec une moyenne d’âge de 22 ans. Il mêle des jeunes familiers et éloignés du Château, puisque 10% ne s’y étaient jamais rendus avant le début du programme. Enfin, 70% des jeunes sont franciliens, un chiffre lié à la nécessité de se rendre au Château en transports en commun.

Afin d’encourager la plus large participation, les formats sont flexibles, s’adaptant aux jeunes de deux façons : d’une part, chacun a rempli un sondage sur ses contraintes horaires, indiquant leurs disponibilités le week-end et les soirs de semaine ; d’autre part, les rencontres mêlent du présentiel à Versailles et du distanciel en visio-conférence, ainsi que du présentiel chez des collaborateurs parisiens.

Fig. 1. Un atelier artistique dans les jardins de Trianon © Château de Versailles – Lucie Bégard
Fig. 2. Un atelier artistique dans les jardins de Trianon © Château de Versailles – Lucie Bégard

Un débat d’idées sur le musée durable

La mission confiée à l’Assemblée des jeunes est de réfléchir à la question : « Quel musée et domaine de Versailles durable et citoyen imaginez-vous pour demain ? ».

Cette thématique se focalise sur le domaine de la médiation culturelle : comment sensibiliser les publics au développement durable et à la citoyenneté à travers la médiation ? L’objectif est que, durant une année, les jeunes réfléchissent et formulent un réservoir de propositions afin d’infléchir les programmes de médiation culturelle vers une plus grande sensibilisation écologique et citoyenne.

Le programme mêle trois formats. Sur le terrain, les jeunes ont suivi des visites et ateliers explorant les possibilités et contraintes du Château en termes de médiation : visite des appartements royaux, atelier artistique de cyanotypes floraux, procès fictif dans la salle du Congrès… En visio-conférence, des experts culturels du Château ainsi que d’autres musées nationaux (Musée du Quai Branly), départementaux (Musée breton de Quimper) et municipaux (Musée Carnavalet) leur ont présenté leurs métiers. Enfin, les jeunes se sont réunis lors de débats mensuels avec l’équipe projet afin de revenir sur les visites et les rencontres, poser leurs questions, réfléchir collectivement et exprimer leurs propositions.

Trois piliers thématiques ont guidé ces formats : médiation culturelle, écologie et citoyenneté. Ainsi, parmi les équipes du Château, les jeunes ont rencontré aussi bien le chef de la médiation culturelle et une commissaire d’exposition que la cheffe des fontainiers et le responsable du plan de gestion durable. La réflexion sur l’engagement citoyen a quant à elle été nourrie par une rencontre avec huit députés membres de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, organisée en collaboration avec l’Assemblée nationale[3], et par la présentation de dispositifs participatifs déployés par d’autres organisations culturelles, à l’image des Champs Libres à Rennes.

Fig. 3. Une rencontre avec des députés au château © Assemblée Nationale – Julien Bauer – Isabelle Rauch
Fig. 4. Une rencontre avec des députés au château © Assemblée Nationale – Julien Bauer – Isabelle Rauch

Les défis de la participation muséale

La première année du programme a été conçue comme une expérience, ajustée au fil de l’eau selon les défis observés par l’équipe projet ou rapportés par les jeunes.

La disponibilité des uns et des autres est apparue comme un premier frein. Il existe, dans l’organisation d’échanges extra-académiques entre des professionnels et des étudiants, une incompatibilité d’agendas : le soir et le weekend sont les créneaux où les professionnels sont indisponibles. Par ailleurs, aucun créneau ne convenant à tous les jeunes, chaque activité exclut, par défaut, une partie de l’audience et crée des insatisfactions. Il apparaît que, là où le programme souhaitait offrir une flexibilité, il aurait été souhaitable de fixer des créneaux uniques dès le départ, conditionnant la candidature de chacun.

D’un point de vue du contenu, la grille de programme initialement conçue a été ajustée au fil de l’eau selon les souhaits exprimés par les jeunes. Ainsi, quand leur échange avec les équipes du Musée Carnavalet les a rendus curieux sur les thèmes de l’accessibilité et du handicap, l’équipe projet a organisé une rencontre avec l’équipe des publics spécifiques du Château afin de répondre à leurs interrogations.

Enfin, les débats ont nécessité une structure. Il ne suffit pas d’offrir un espace de parole pour mener de la co-construction : il est apparu nécessaire d’organiser cette prise de parole, l’animateur du débat devant se faire à la fois absent et structurant. Absent, car l’animateur laisse aux jeunes, à chaque réunion, le soin de choisir eux-mêmes les thèmes de discussion, n’étant là que pour répondre à leurs interrogations de fond. Structurant car, face à la timidité et au manque de confiance initial des jeunes, il est apparu nécessaire de les guider en isolant clairement trois étapes : le choix d’un enjeu, le constat de problématiques, la proposition d’idées pour y répondre.

Et après ?

A l’issue de l’année, une quinzaine de propositions concrètes ont été formulées par les jeunes en réponse à la question initialement posée. Elles seront présentées publiquement, les 21 et 22 juin 2024, lors des rencontres « Musées citoyens »[4] organisées par le château de Versailles.

Une enquête qualitative anonyme sera menée auprès des jeunes durant l’été 2024 afin qu’ils expriment leurs retours critiques sur le programme. Elle viendra nourrir la réflexion en cours sur la deuxième édition de l’Assemblée des jeunes, et sur la mise en œuvre des propositions soumises par la première.

Notes

[1] Nombre de musées anglosaxons ont créé ces groupes de 10 à 20 jeunes, âgés généralement de 15 à 25 ans, associés durant une année aux activités de médiation du musée. Par exemple, le « Youth Collective » du British Museum, la « Youth Action Team » du Pitt Rivers Museum, ou le « Youth Council » de la National Gallery of Australia.

[2] La plupart des régions françaises ont créé ces groupes de 70 à 130 jeunes, âgés généralement de 15 à 29 ans, pour une mandature d’un ou deux ans au rôle de consultation et de proposition. Par exemple, le « Conseil régional des jeunes » de la Région Grand Est, le « Conseil régional de la jeunesse » du Centre-Val-de-Loire ou le « Parlement régional de la jeunesse » de la Région Sud.

[3] L’Assemblée nationale est l’une des deux chambres du Parlement français. Elle forme avec le Sénat le pouvoir législatif dont la mission est de faire la loi et de contrôler le Gouvernement.

[4] Deux journées de colloque sur le rôle social du musée, organisées par le Château de Versailles en partenariat avec les étudiants de l’Institut d’études politiques (IEP) de Lille.