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avril 30, 2024

ICOM VoicesLe Musée national de la Marine de Port-Louis (France), entre site historique et musée

ANNE-LISE CARON

Diplômée en médiation culturelle, guide-conférencière à Rennes (France)

Un défi de médiation culturelle

Introduction

En France, les musées se sont rapidement développés dans des lieux d’histoire, et l’équilibre entre la présentation des collections et celle du monument en lui-même a toujours été un défi de taille pour les médiateurs culturels. Cet article explore plusieurs propositions de projets de médiation adaptés à la Citadelle de Port-Louis, qui accueille en son sein le Musée national de la Marine.

Histoire et médiation à la Citadelle de Port-Louis

La Citadelle de Port-Louis, ancrée dans l’histoire militaire de la région morbihannaise, a grandement contribué au développement de la rade de Lorient au fil des siècles. Elle a connu de multiples propriétaires, transformations et réaménagements intérieurs. Ainsi, en 400 ans d’histoire, s’y sont succédés les Espagnols, la Compagnie des Indes orientales française, les soldats de la Marine ainsi que les Allemands sans compter les sémaphoristes de la vigie.

Fig. 1. Citadelle de Port-Louis, juillet 2022. © Laurent Charpentier, SNSM Pays de Lorient

Aujourd’hui, la Citadelle de Port-Louis est un espace muséal classé monument historique faisant partie du réseau du Musée national de la Marine. En s’appuyant sur l’ensemble du personnel du musée, l’équipe de médiation a pour mission la mise en valeur des deux expositions permanentes (sur le sauvetage en mer et l’archéologie sous-marine) ainsi que de la Citadelle dans sa globalité. Au sein de la Citadelle, il est possible de faire une visite guidée des remparts et des musées (avec ou sans audioguides), et, pour les jeunes, de participer à des ateliers de médiation. Le musée se saisit également des événements nationaux (journées européennes du patrimoine, nuit des musées ou encore fête du littoral) pour proposer des activités ponctuelles qui ont parfois lieu hors les murs.

Lors de la conception d’actions de médiation, il est nécessaire de prendre en compte les moyens humains et financiers dont dispose le site ; nous avons, à Port-Louis, une petite équipe polyvalente et un budget limité. En parallèle de ces actions, nous pouvons poursuivre les recherches en archives, travailler sur le traitement des mémoires, renouveler la communication externe ou encore développer l’ancrage territorial de la Citadelle. Dans cet article, je présenterai trois projets de médiation dont l’objectif est de permettre aux visiteurs de faire plus naturellement le lien entre ce qu’ils voient au musée et le site historique qui les entoure.

« Le secret du Vice-Amiral Pâris », une découverte ludique du site et du musée à travers un atelier pour les 6-9 ans

L’atelier que j’ai élaboré, proposé à la saison automnale 2023, se fonde sur la vie d’un soldat de la Marine à la Citadelle au XIXe siècle. L’objectif est d’aider l’enfant à faire naturellement le lien entre les objets de collection utilisés ou conçus par et pour les marins et le site historique qui les accueille. Cette époque est la moins sourcée du site, ce qui permet une certaine marge de manœuvre dans la création d’un fil rouge mais nous a également conduit à chercher et à utiliser d’autres données – notamment des éléments sur la vie de l’Amiral Pâris, fondateur du musée de la Marine – afin d’enrichir le contenu de l’atelier.

Cet atelier débute face au buste de l’Amiral, dans le musée. Il se déroule ensuite sous forme de jeu de piste avec énigmes et défis à surmonter. Les quatre défis qui constituent l’atelier ont pour base les observations que font les enfants sur les croquis de voyages, les conditions d’utilisation de la cloche de brume, l’imaginaire des marins au XIXe siècle et le code international des signaux maritimes de 1857. Chaque lieu de la Citadelle choisi pour le défi est décrit par une énigme et permet au médiateur d’introduire des éléments de contexte historique du lieu vers lequel les jeunes se dirigent.

Fig. 2. Matériel de médiation pour l’atelier « Le secret du Vice-Amiral Pâris ». © Anne-Lise Caron

Les jardins du Roi, une initiative de l’équipe aux possibilités infinies

Fig. 3. Plan de la Citadelle et des ses jardins au XVIIIe siècle. © Service Historique de la Défense

 

Fig. 4. Potagers en test à l’été 2023. © Anne-Lise Caron

Le projet des jardins du Roi, un espace potager, s’appuie sur la découverte d’un plan du XVIIIe siècle montrant une citadelle végétalisée. À l’époque, chaque espace de la forteresse était pensé pour pouvoir assurer son autosuffisance alimentaire, dans le cas où un siège aurait lieu. Notre idée, qui passe par la réimplantation de potagers, est encore en phase expérimentale (voir Fig. 4.). L’objectif de cette future médiation est de pouvoir présenter des légumes et herbes médicinales de l’époque, de parler du patrimoine alimentaire de la région et de l’alimentation des soldats à la Citadelle au XVIIIe siècle. Le lien avec l’espace muséal pourrait se faire par la reconstitution imaginaire d’une journée dans la peau d’un soldat du XVIIIe siècle en poste à la Citadelle. Le matin, il quitterait son dortoir (le musée) pour aller s’occuper des bêtes (sur un bastion) et des potagers (devant les bureaux) avant d’aller puiser de l’eau des citernes (sous la Place d’Armes) pour ses camarades de chambrée et de chercher du pain aux fours à pain (situés dans les remparts Est) pour le petit déjeuner. Montrer l’entretien de potagers à l’époque, c’est aussi en montrer les outils et les pratiques, et éventuellement les intégrer aux collections du musée. Bien d’autres idées peuvent découler de ce projet.

L’exposition temporaire Immersion (mai 2023 – janvier 2024), un dispositif pour valoriser le bâtiment

Pour l’exposition temporaire Immersion, les étudiants de l’École européenne supérieure d’art de Bretagne se sont inspirés des collections du musée pour créer et ont cachés leurs œuvres dans la scénographie. Le livret de l’exposition mis à disposition des visiteurs proposait une sorte de jeu de piste dans le musée afin de les retrouver : les photos ne montraient qu’une partie de certaines créations et les visiteurs devaient observer attentivement tout autour d’eux. Il y en avait sur les murs, dans les vitrines, mais aussi par terre et au plafond. Par cette mise en scène, le visiteur quittait son parcours habituel et le cadre du musée pour regarder l’habitat, les poutres, les murs, le sol craquelé ; cette action le faisait entrer en contact avec le site historique en posant un véritable regard sur le bâtiment.

Conclusion

Notre rôle, en tant que médiateur et médiatrice, est de penser et de mettre en œuvre des projets qui enrichissent l’expérience des visiteurs et leur compréhension des lieux et des collections. De nombreux dispositifs de médiation peuvent encore être envisagés pour mettre en valeur le patrimoine historique de la Citadelle : nous pourrions exposer des objets trouvés lors de fouilles ou de chantiers de restauration, créer plus de partenariats avec des artistes locaux pour travailler sur la gravure de pierre (notamment de tuffeau[1]), reconstituer certains espaces du quotidien avec du mobilier d’époque pour rendre la visite plus visuelle, projeter des reconstitutions de l’intérieur de la poudrière au mur ou encore accrocher aux murs du musée des photos d’époques pour montrer les différentes utilisations qui ont été faites des pièces qui sont visitées. Port-Louis, riche en histoire, offre un cadre propice à la mise en place de tels dispositifs dont certains sont déjà à l’étude.

Note : Cet article est une adaptation d’une partie de mon mémoire de master 2 Médiation du Patrimoine, de l’Histoire et des Territoires (2022-2023) à l’Université Rennes 2, intitulé : « Entre Musée et site historique, une médiation insolite à toute épreuve. La spécificité du Musée national de la Marine de Port-Louis sur le territoire français ».

[1] On retrouve de nombreux noms de soldats, en poste dans la Citadelle à l’époque, gravés à différents endroits : dans la poudrière, à l’intérieur des échauguettes, sous l’Arsenal. Certaines gravures ont presque deux cents ans. Cela peut ouvrir à une réflexion plus large pour le médiateur sur le besoin de l’homme à entrer dans l’histoire et à un partenariat pertinent avec des artisans/artistes locaux.