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juillet 29, 2025

ICOM Voices L’ICOM et le G20 : le travail des experts de l’ICOM sur la culture et le changement climatique

Jeanne Crampette : Coordinatrice de Protection du patrimoine au secrétariat de l’ICOM ; Rachelle Kalee : Coordinatrice Musées et Société au secrétariat de l’ICOM ; Jenny Newell : Conservatrice, Changement climatique, au Centre de solutions climatiques (Climate Solutions Centre) de l’Australian Museum à Sydney (membre du CA d’ICOM SUSTAIN) ; Luiz Souza : Professeur titulaire à l’université fédérale de Minas Gerais (ICOM Brésil) ; Cecilene Muller : Directrice adjointe de la Recherche, la Planification et la Politique à Heritage Western Cape (ICOM Afrique du Sud) ; Catherine Snel : Archiviste et muséologue chez Sanlam Ltd (Présidente d’ICOM Afrique du Sud)

Mots-clés : G20, experts de l’ICOM, priorité 4, changement climatique

L’ICOM a été invité à participer pour la quatrième fois, en tant que membre observateur, au groupe de travail sur la culture (CWG) du G20, accueilli cette année par l’Afrique du Sud avec pour thème « Solidarité, Égalité et Durabilité ». Afin de préparer sa contribution aux 4 priorités choisies par la présidence sud-africaine du G20, l’ICOM fait appel à des experts de son réseau. ICOM Voices met en lumière les contributions de ces experts dans une série d’articles leur permettant d’exposer leurs points de vue et le travail de musées dans ces domaines.

Ce premier article présente le travail de nos experts sur la priorité 4, « L’intersection de la culture et du changement climatique : façonner des réponses mondiales ».

En avril 2025, des membres du secrétariat de l’ICOM et d’ICOM SUSTAIN ont répondu à une demande, de la part du groupe de travail sur la culture du G20, d’expertise sur le rôle des musées face au changement climatique. L’équipe de l’ICOM a composé une courte déclaration, qui a été énoncée par un représentant d’ICOM SUSTAIN lors d’un webinaire devant renseigner la politique du G20 en octobre. Le G20 a lieu cette année sur le continent africain, spécifiquement en Afrique du Sud – un changement de paradigme qui réaffirme le besoin de mettre au premier plan des points de vue et des systèmes de connaissance qui par le passé ont été laissés de côté lors des négociations mondiales sur l’environnement.

L’urgence climatique est une crise humaine, de par ses causes et ses solutions. Elle requiert un éveil de l’imagination, de la mémoire, de l’écoute – et de la conscience. C’est précisément ici que la culture, et en particulier les musées, peuvent jouer un rôle décisif. Les musées et les autres institutions culturelles ne sont pas que des lieux de conservation :

ce sont des infrastructures de services, fonctionnant grâce à l’engagement civique et procurant de précieux intermédiaires aux communautés. En tant que sources fiables d’information, ils représentent un point de repère d’une importance grandissante pour les citoyens submergés par la désinformation.

L’engagement des musées dans la réponse au changement climatique joue un rôle vital dans l’accomplissement des objectifs de l’Action pour l’autonomisation climatique [ACE : Action for Climate Empowerment] énoncés dans l’accord de Paris. En facilitant l’accès au dialogue, au développement des compétences, et à des structures participatives, les musées permettent à la société civile de participer activement à l’action climatique. Les gouvernements et les musées doivent collaborer afin de réduire les émissions de carbone et favoriser la régénération de la nature et la préservation des communautés.[1]

La présentation de l’ICOM au groupe de travail sur la culture du G20 abordait trois sujets principaux, affirmant que de plus en plus de musées prennent des initiatives pour donner aux communautés les moyens de faire face à la crise climatique par (1) la transmission narrative et l’écoute, (2) la mise en œuvre de stratégies autochtones et (3) en offrant un refuge.

1. Les musées inspirent l’action par le biais du récit

Dans le monde entier, de plus en plus d’équipes de musées se mettent à assumer un rôle de catalyseurs de la conscience et des solutions climatiques. Ils invitent leurs visiteurs à partager leurs expériences de bien vivre, maintenant et à l’avenir. En Afrique du Sud, le Kleinplasie Living Open-Air Museum assume cette responsabilité de narration. À travers la redécouverte des savoirs traditionnels en matière de plantes médicinales, le musée partage des histoires de guérison et de résilience. Une des plantes sur le devant de la scène est la Sutherlandia frutescens (Baguenaudier d’Éthiopie, localement appelé cancer bush, « buisson pour le cancer »), que l’on cultive non seulement pour sa résistance à la sécheresse mais aussi pour sa grande importance culturelle parmi de nombreux groupes culturels du sud de l’Afrique. Les éducateurs de musées organisent des séances de narration, où les aînés relatent les usages de cette plante dans des rituels et pratiques curatives ancestraux. Le musée en devient un livre d’histoires vivant des connaissances écologiques et culturelles d’Afrique du Sud, affirmant que les savoirs et la tradition orale autochtones sont des outils essentiels pour l’adaptation climatique.

Certains musées, comme le musée de Manchester, contribuent aussi à régénérer les communautés et les écologies locales en demandant puis en procurant ce que les groupes locaux d’écologie et de justice sociale veulent : un espace de rassemblement au dernier étage du musée, un endroit où établir des collaborations. Des musées dédiés au climat à New York, à Hong Kong et en Europe rendent visibles les impacts de la combustion des énergies fossiles et la nocivité de l’industrie des énergies fossiles. Ils invitent des poètes, des artistes et des défenseurs de la forêt à s’exprimer, et deviennent des lieux d’échange qui rassemblent. Ceci enrichit l’expérience des participants et a un impact sur les actions qu’ils choisissent d’entreprendre par la suite.

En allant au musée, les gens s’attendent à apprendre, à être inspirés, et à trouver des réponses à la sempiternelle question du changement climatique : que puis-je faire ? Pour répondre à cette question, le Centre de solutions climatiques de l’Australian Museum enregistre, documente et raconte les histoires de personnes qui œuvrent à créer de meilleurs avenirs. Ceci a renseigné et composé Future Now (l’avenir maintenant), une exposition très populaire de dioramas représentant des paysages durables et régénérés. Cette exposition itinérante est présentée dans des lieux publics urbains et ruraux. Les avenirs mis en scène dans l’exposition permettent aux visiteurs de visualiser leur propre version d’un futur meilleur et inspirent des conversations centrées sur les solutions. Chaque mois, les discussions “Café et Climat” dans ce musée aident également les participants à trouver le courage de parler à d’autres, et à s’engager à réduire les émissions [de carbone]. En rapportant des exemples d’initiatives prises dans nos communautés, ce musée encourage l’espoir et se fait le témoin de changements positifs qui se propagent.

2. Les musées diffusent les savoirs autochtones pour contribuer à l’action climatique et à la résilience

Les systèmes de connaissance autochtones apportent des solutions à la dégradation environnementale, offrant des modèles de coexistence et de durabilité. Le musée Kleinplasie susmentionné intègre des systèmes de connaissance autochtones aussi bien qu’occidentaux dans ses programmes d’agriculture patrimoniale. Ces programmes préservent et présentent l’histoire culturelle en transmettant les savoirs, les savoir-faire, les coutumes et les pratiques aux jeunes générations, ainsi qu’en exposant des représentations physiques de valeurs et de convictions des communautés. Des ateliers consultatifs organisés en collaboration avec des aînés Khoisan (Hessequa) et isiXhosa garantissent que la transmission des savoirs traditionnels se fait, comme l’exige la législation sud-africaine.

Établir une importante participation autochtone au sein des institutions culturelles transforme la culture de ces institutions. Maintenir la consultation et le consentement des autochtones garantit qu’il n’y a « rien sur nous sans nous ».[2] Au Brésil, une nouvelle génération de musées et d’initiatives culturelles dirigés par des autochtones font leur apparition, et donnent l’impulsion de la régénération et de la résilience. Le Museu das Culturas Indígenas [musée des Cultures autochtones], inauguré à São Paolo en 2022, est dirigé par un conseil autochtone et met en avant des points de vue autochtones sur la terre, la spiritualité, et la vie contemporaine. Dans le nord-est, le Museu do Índio Luíza Cantofa, ouvert en 2023, préserve l’histoire et les traditions des peuples Tapuia Paiacu et Tabajara grâce à une approche entièrement communautaire.

Le Museu Indígena Pataxó à Coroa Vermelha, créé à l’origine par des initiatives gouvernementales en l’an 2000 pendant les célébrations officielles du 500e anniversaire du Brésil – une date perçue par les communautés autochtones non pas comme une découverte, mais comme une invasion – est un autre exemple des changements qui se produisent au Brésil. Après des années d’abandon et de fermeture, ce musée a été récupéré et réinventé en 2024 par une véritable direction autochtone, avec de nouvelles collections et une nouvelle conservation directement façonnées par les Pataxó eux-mêmes. Cette transition généralisée vers le pouvoir d’action autochtone était de même visiblement présente à la 35e Bienal de São Paolo, où l’artiste autochtone Denilson Baniwa, ainsi que des collectifs artistiques contemporains tels que MAHKU, ont apporté non seulement des œuvres d’art mais aussi des politiques de conservation, remettant en question les structures coloniales d’un des événements artistiques les plus importants du Brésil.

Ces initiatives ne sont plus seulement des lueurs d’espoirs, incitant au dialogue et à la transformation : elles sont devenues des actions de résilience, de résistance, et d’autonomie des autochtones, par lesquelles les autochtones se battent pour revendiquer leurs droits, restaurer la mémoire, et amplifier les voix autochtones authentiques – des voix qui s’expriment elles-mêmes sans être filtrées par des interprétations extérieures. Malgré les entraves que représentent encore la résistance politique et les préjugés, les communautés autochtones du Brésil reprennent le contrôle de leur mémoire comme de leur avenir, en se servant des musées, des expositions, et des plateformes culturelles comme instruments essentiels pour l’affirmation, la régénération, et la défense de la vie.[3]

Une galerie de l’Australian Museum, Wansolmoana (Un océan salé), offre un exemple de co-conservation avec les communautés et d’une façon de parler du climat particulièrement marquante par le biais de vidéos et d’objets culturels. L’équipe du musée a entrepris de relier cette galerie aux grandes communautés Pasifika de Sydney et aux groupes d’action climatique tels que les Pacific Climate Warriors, encourageant la fierté de la culture et des histoires de résistance à l’exploitation coloniale et capitaliste.

3. Les musées comme refuge en cas de catastrophe

Bâtis pour garder les collections à l’abri, les musées peuvent aussi prêter une assistance concrète aux communautés locales lorsqu’ils sont atteints par la canicule, les inondations ou les incendies. Par exemple, après l’ouragan Gilbert, la National Gallery of Jamaica a servi de refuge à de nombreuses personnes se retrouvant sans abri, car c’était l’un des rares bâtiments encore intacts équipés d’un générateur de secours. En Afrique du Sud, le Old Harbour Museum à Hermanus, situé sur le littoral de la côte d’Overberg, qui est de plus en plus à risque, a montré comment les petits musées peuvent fonctionner à la fois comme musée et comme refuge climatique. Lors des dernières ondes de tempête, le musée a ouvert ses portes aux habitants et aux touristes restés bloqués, leur prodiguant la sécurité, une infrastructure de communication et des conseils. En réponse au changement climatique et particulièrement à la montée du niveau de la mer, le musée a lancé son « Initiative Port de salut », dotant ses locaux d’équipements d’urgence fonctionnant à l’énergie solaire, de dispositifs de purification de l’eau, et se formant à l’intervention en réponse aux risques climatiques.

Au-delà de l’usage d’urgence comme refuge pendant les catastrophes, le Old Harbour Museum sert aussi d’espace et de plateforme pour favoriser l’engagement des communautés en préservant la mémoire côtière à travers son exposition Tides of Change [Marées de changement], une plateforme participative permettant à la population locale de pêcheurs, poètes, chercheurs et jeunes de partager leurs histoires sur la mer – des histoires de perte, de transformation et d’espoir. Ces récits sont associés à des données climatiques et à des bilans communautaires, ce qui personnalise et concrétise les réalités abstraites du changement climatique.

La cause de l’action climatique et de la préparation aux risques climatiques

La recommandation que nous avons faite au groupe de travail sur la culture du G20 était d’augmenter les aides gouvernementales pour le soin des collections et d’encourager l’apprentissage au moyen d’expériences éducatives auxquelles participent activement les parties prenantes.

Les musées ont besoin d’un plus grand soutien et d’impératifs plus clairs de la part des gouvernements pour développer l’éducation climatique.

Les collections de sciences et technologies dans les universités et les institutions publiques ainsi que les collections culturelles ont souvent besoin d’infrastructures renforcées face à l’accroissement des risques climatiques. Ces collections demeurent des ressources essentielles pour comprendre l’histoire des humains et des autres espèces ainsi que pour construire des voies vers un avenir durable pour tous.

Nous avons également souligné l’importance stratégique et l’intérêt croissant de combiner les connaissances, recherches et collections issus du savoir scientifique et traditionnel. Ces systèmes de connaissance sont complémentaires et tous deux ont besoin d’être reconnus, d’être préservés, et de bénéficier d’un investissement public. Les exemples ont démontré que les communautés ont toujours su s’adapter et prospérer face aux changements environnementaux.

Nous avons fait remarquer qu’il est important que les gouvernements intègrent les systèmes de connaissance autochtones dans leurs contributions déterminées au niveau national (NDC) et plans d’adaptation nationaux (NAP), et qu’ils soutiennent les musées et archives qui travaillent avec leurs communautés à documenter et à transmettre leurs savoirs traditionnels.

Enfin, l’ICOM a mis en avant le besoin de compter la culture parmi les pertes non-économiques lors des négociations climatiques et dans les mécanismes de pertes et dommages, reconnaissant que les impacts du changement climatique dépassent les dégâts matériels. Ils affectent l’identité, la mémoire, les rituels, et le tissu culturel des communautés. Cette reconnaissance est nécessaire pour garantir que les pertes culturelles soient visibles, estimées, et prises en compte dans le financement climatique et les mécanismes de recouvrement internationaux.

La présentation de l’ICOM s’est conclue sur le rappel qu’avec de l’aide, les musées peuvent réaliser leur potentiel comme outils d’apprentissage, d’imagination et de soin, qui nous aident tous à recouvrer notre capacité d’action face aux défis grandissants de notre monde. Le groupe de travail sur la culture du G20 s’est référé à plusieurs des points clés de la déclaration au cours des séances de discussion. La contribution de l’ICOM au G20 est étayée par son établissement dans plus de 120 pays, à travers un réseau mondial de plus de 60 000 membres, capable d’influencer les politiques régionales par le biais du partage des valeurs, des objectifs de durabilité, et d’un dialogue inclusif. La conversation entre le G20 et l’ICOM va continuer.

[1] Voir Henry McGhie, Action for Climate Empowerment: A Guide for Galleries, Libraries, Archives and Museums, Curating Tomorrow, 2022 ; ainsi que Henry McGhie, Rodney Harrison, Colin Sterling, ‘Reimagining and Mobilising Museums for Climate Action ’, ICOM Voices, 28 juillet 2022.

[2] Voir, par exemple, Mariko Smith, ‘Inspiring Change for First Nations Representation in Museums’, IndigenousX, 9 juillet 2021. E-publication, Inspiring change for First Nations representation in museums – IndigenousX [consulté le 22.4.2025] ; Linda Tuhiwai Smith, Decolonising Methodologies : Research and Indigenous Peoples, 1999, Zed Books, London. Yacy Ara Froner, ‘The cultural value of ethnographic heritage: resilience, resistance and sustainability’, Revista Vis, 23 [1] (2024). periodicos.unb.br. [consulté le 30.5.2025]

[3] Museu das Culturas Indígenas. (2022). Tiré de Home – Museu das Culturas Indígenas Brasil de Fato. (2024, February 19). Museu Indígena Pataxó reabre após mais de cinco anos fechado no extremo sul da Bahia. Tiré de Museu Indígena Pataxó reabre após mais de cinco anos fechado no extremo sul da Bahia – Brasil de Fato Dasartes. (2023). Denilson Baniwa promove colheita do milho finalizando obra da Bienal de São Paulo. Tiré de Denilson Baniwa promove colheita do milho finalizando obra da Bienal de São Paulo | Dasartes