L’ICOM a été invité à participer pour la quatrième fois consécutive, en tant que membre observateur, au groupe de travail sur la culture (CWG) du G20, accueilli cette année par l’Afrique du Sud avec pour thème « Solidarité, Égalité et Durabilité ». Afin de préparer sa contribution aux 4 priorités choisies par la présidence sud-africaine du G20, l’ICOM a fait appel à des experts de son réseau. Les discussions ont abouti à la Déclaration de KwaDukuza, qui a été adoptée par les ministres de la Culture du G20 à Kwazulu-Natal, en Afrique du Sud, le 29 octobre 2025, ainsi qu’à celle intitulée Sommet du G20 en Afrique du Sud : Déclaration des dirigeants, adoptée les 22 et 23 novembre 2025. ICOM Voices a ces derniers mois mis en lumière les contributions des experts sollicités à travers une série d’articles leur permettant d’exposer leurs points de vue et le travail de musées dans ces domaines.
Cet article présente le travail mené par des experts de l’ICOM dans le cadre des discussions sur la Priorité 1, « Sauvegarde et restitution du patrimoine culturel pour protéger les droits humains », tenues au cours des réunions du Groupe de travail sur la culture du G20.
Auteurs :
Giuditta Giardini : Avocate / Présidente du Comité pour les affaires juridiques de l’ICOM.
Placide Mumbembele : Professeur d’histoire des musées du Congo à l’Université de Kinshasa et Chercheur à l’Institut des musées nationaux du Congo.
Hanna Pennock : Conseillère principale, Agence du patrimoine culturel des Pays-Bas / Présidente du Groupe de travail de l’ICOM sur la décolonisation.
Département Protection du patrimoine, Secrétariat de l’ICOM.
La Priorité 1 met en avant la nécessité de sauvegarder le patrimoine culturel et l’importance du retour et de la restitution des biens et objets culturels. Cet article présente trois points de vue d’experts sur les musées, et aborde : (1) les actions fondées sur le droit, qui s’appuient sur les mécanismes juridiques existants pour le retour et la restitution de biens culturels, et les moyens de pallier leurs limites, (2) les actions basées sur des instruments normatifs tels que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) pour élaborer des approches éthiques des collections autochtones, et (3) les efforts participatifs entre musées et communautés sources pour collaborer et ouvrir un dialogue productif dans les processus de restitution.
Les points de vue juridiques sur les processus de retour et de restitution dans les musées : retour sur l’évolution des régulations et présentation de nouveaux mécanismes (Giuditta Giardini)
Les institutions culturelles prêtent aujourd’hui une attention croissante à la provenance des objets culturels qu’elles détiennent. Les musées – afin de faire preuve d’une plus grande transparence et de rendre leur travail de recherche plus visible – rendent donc de plus en plus disponibles les informations en leur possession, indiquant la provenance des objets qu’ils exposent sur les cartels d’œuvres, et rendant accessible en ligne la documentation s’y rapportant. Ceci a entraîné une augmentation des revendications et des restitutions volontaires au cours des dernières décennies.
Le Principe 6.3 du Code de déontologie de l’ICOM pour les musées (version 2004) stipule que lorsqu’un objet culturel a manifestement été exporté ou transféré en violation des conventions internationales et de la législation nationale, et qu’il a été prouvé qu’il appartient au patrimoine culturel d’un pays ou d’une communauté, le musée concerné doit, s’il en a la liberté juridique, rapidement et de manière responsable prendre des dispositions pour faciliter son retour.
Le cadre juridique régissant la restitution et le retour des biens n’a guère changé ces dernières années ; ce qui a changé, c’est que les musées sont désormais de plus en plus proactifs dans leur utilisation des instruments à leur disposition. Un principe fondamental du Code de déontologie de l’ICOM exige que les musées se conforment non seulement aux lois nationales et locales, y compris les lois des communautés (Principe 7.1), mais aussi aux conventions internationales listées dans le Principe 7.2.
Le premier instrument international créé pour traiter les questions de restitution ou de retour était le Premier Protocole à la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de 1954, qui comporte le principe de l’interdiction de conserver des biens culturels soustraits en temps de guerre. À la fin d’une occupation, toute partie contractante doit retourner l’objet culturel aux autorités antérieures à l’occupation.
Tandis que le Premier Protocole s’applique aux objets culturels changeant de mains au cours des conflits internationaux et nationaux, la Convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels de 1970 a ensuite été adoptée pour imposer le retour et la restitution d’objets culturels illégalement enlevés à leur État d’origine en temps de paix comme en temps de guerre.
Pour renforcer les aspects de droit international privé liés au retour et à la restitution, et pour inclure les questions relatives à l’acquisition de bonne foi d’objets culturels, la Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés a été adoptée en 1995. Plus de 20 ans après, en 2017, la Convention du Conseil de l’Europe sur les infractions visant des biens culturels entreprenait d’harmoniser le droit pénal pour la protection des biens culturels.
Tous les instruments juridiques existants ne sont, par leur nature, pas rétroactifs ; toutefois, rien n’empêche les États d’adopter, dans leur interprétation et leur application, une approche proactive plus généreuse de la restitution. Pour encourager ceci, le Comité pour les affaires juridiques (LEAC) de l’ICOM élabore des directives pour les musées qui précisent les étapes juridiques et non-juridiques à suivre en cas de demande ou de retour de biens culturels mobiliers. Ces actions peuvent être fondées sur le droit, la politique, ou la déontologie.
Collections des peuples autochtones dans les musées occidentaux : prendre soin des biens culturels et des restes ancestraux de manière éthique et axée sur les droits humains (Hanna Pennock)
À l’époque coloniale, de nombreux biens culturels ont été soustraits de manière illicite ou non-éthique dans le cadre de rapports de pouvoir inégaux, entraînant une perte involontaire de patrimoine culturel. Ceci concerne particulièrement le patrimoine des peuples autochtones, et souvent des objets vivants, secrets et sacrés ainsi que des restes ancestraux, dont la perte est encore profondément douloureuse aujourd’hui. Ces collections se sont retrouvées majoritairement dans les musées occidentaux où elles sont exposées, souvent hors contexte, ou conservées dans les réserves sans toujours respecter les protocoles autochtones.
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) reconnaît les droits des peuples autochtones, y compris le rapatriement et le contrôle de leurs biens se trouvant dans des musées. Ceci a des incidences pour les musées qui détiennent des collections autochtones – qu’ils soient ou non situés dans des nations ayant une population autochtone. Le rapatriement de restes ancestraux et de biens culturels n’est qu’un des droits mentionnés.
La Déclaration sur les droits des peuples autochtones met l’accent sur le droit à la réparation concernant les biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels pris sans consentement libre, préalable et informé, ou en violation de leurs lois, traditions et coutumes. Les peuples autochtones doivent avoir accès à leurs biens en privé – les musées se doivent de rendre possible l’usage cérémoniel en créant des espaces dédiés à cet effet ou en prêtant les biens culturels aux communautés. Les musées ne peuvent plus opérer de façon unilatérale lorsqu’ils présentent le patrimoine culturel de peuples autochtones. Ils doivent le faire conjointement avec les peuples autochtones concernés, leur permettant d’exercer leur droit de ranimer, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leurs histoires, leurs langues et leurs traditions. Ces savoirs leurs appartiennent, et en contrôlant le récit et le langage utilisé, ils maintiennent leur propriété intellectuelle.
Ceci signifie que les musées doivent prendre un soin particulier de ces collections en appliquant les protocoles autochtones. Ils doivent reconnaître et réparer l’injustice, prendre l’initiative du dialogue avec les peuples autochtones et restituer les collections si cela est le souhait de la communauté autochtone d’origine. Le Groupe de travail de l’ICOM sur la décolonisation, créé en 2023, a présenté son rapport au Conseil d’administration de l’organisation en juillet 2025. Une de ses recommandations est d’adopter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones afin de sensibiliser l’ICOM et le secteur muséal à une approche fondée sur les droits.
La nécessité d’un dialogue entre les musées et les communautés locales (Placide Mumbembele)
Productrices et détentrices des savoirs et savoir-faire traditionnels, les communautés locales sont un partenaire incontournable des musées. Les communautés locales, en s’impliquant dans les expositions et activités pédagogiques, permettent aux musées de repenser et d’enrichir leur parcours muséographique. Les dialogues entre les institutions culturelles et les communautés locales favorisent ainsi une réécriture de l’histoire des collections, dans une logique de transparence et de respect envers les communautés sources. En collaborant et en partageant leurs informations, musées et communautés locales peuvent également, dans une démarche de co-création du savoir, permettre une meilleure connaissance des biens culturels en faisant progresser les recherches sur leur provenance.
En Afrique comme ailleurs, le musée doit poursuivre ses efforts pour être un espace permettant l’affirmation de la souveraineté, de l’indépendance et de l’identité culturelle des communautés locales qui, aujourd’hui encore, restent marginalisées et tenues éloignées du débat sur la restitution des biens culturels spoliés pendant la colonisation, actuelle prérogative des milieux politiques et intellectuels. Pourtant, l’implication des communautés locales dans le processus de restitution constitue un enjeu majeur dans la décolonisation des musées.
De plus en plus d’initiatives participatives souhaitant remettre le respect et le partage des connaissances au centre des pratiques de restitution sont aujourd’hui mises en place. Le projet « Maasai-Pitt Rivers Living cultures »[1] (2017-2024), qui a réuni le Pitt Rivers Museum (UK) et le peuple Maasai d’Afrique de l’Est pour discuter conservation éthique, réparation et restitution d’artefacts Maasai, en est un exemple. Facilité par l’organisation non-gouvernementale InsightShare, ce partenariat a donné aux participants Maasai un pouvoir décisionnel sur l’organisation et le déroulement du projet – les rendant acteurs du partenariat –, et a permis de bâtir un vrai dialogue entre les deux parties.
Il reste encore des progrès à accomplir, et nous encourageons vivement l’instauration ou la poursuite des dialogues entre les musées et les communautés locales, l’objectif étant de poser des bases durables à un futur plus juste.
Conclusion
En abordant les points de vue juridiques, autochtones et communautaires sur le retour et la restitution des biens culturels, cet article illustre les dimensions complexes et interconnectées de ces processus pour les musées. La participation de l’ICOM au Groupe de travail sur la culture du G20 a été l’occasion de réfléchir à la manière dont les musées peuvent contribuer activement à ces principes directeurs et de mettre en lumière la diversité des expertises du réseau de l’ICOM.
« Nous reconnaissons l’importance attachée par les pays d’origine au retour et à la restitution des biens culturels qui ont pour eux une valeur fondamentale spirituelle, historique et culturelle afin de pouvoir constituer des collections représentatives de leur patrimoine culturel. Nous réaffirmons notre soutien à l’instauration d’un dialogue ouvert et inclusif sur le retour et la restitution des biens culturels, tout en reconnaissant la prise de conscience de leur valeur pour renforcer la cohésion sociale. »
Extrait du Sommet du G20 en Afrique du Sud : Déclaration des dirigeants, paragraphe 112 (traduction non-officielle depuis l’anglais).
Pour plus d’informations :
– G20 2025 ministres de la Culture – Déclaration de KwaDukuza (3 novembre)
– Sommet du G20 en Afrique du Sud : Déclaration des dirigeants (22-23 novembre)
[1] Un article sur ce projet a été publié dans le numéro « Partnerships & Collaborations » de Museum International (Vol. 73, No. 3-4). L’article, écrit par Carla Figueira et intitulé « Museums at the Service of Cultural Relations: The Maasai-Pitt Rivers Museum Living Cultures Partnership », est disponible en libre accès sur le site web de Taylor&Francis.