Roberto Riccardo Alvau; Anna Stolyarova
stagiaire au SAMA, fondatrice du SAMA
Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau
mai 14, 2021
Mots-clés : Intérêt social ; Muséologie ; Communauté ; Cocréation ; Intégration
L’art contemporain est, par définition, une pratique artistique changeante aux multiples facettes caractérisée par une grande diversité de techniques, de matériaux et de productions. Depuis les années 1960, des mouvements comme Fluxus ou les pères du happening, notamment Allan Kaprow et Yves Klein, ont bouleversé notre façon de vivre et de créer l’art. De nouvelles formes de production ont vu le jour, qui nécessitent l’action et la participation du public. L’art a peu à peu perdu son aura sacrée (Benjamin, 1935, p. 4), se démocratisant pour jouer un nouveau rôle dans la vie sociale, politique et culturelle. Bien que l’art contemporain reste avant tout une pratique critique et subversive, c’est aussi un « état de rencontre », un médium culturel qui ouvre la voie à la cohésion sociale, mais permet aussi de débattre et de bâtir de nouveaux types de relations humaines (Nicolas Bourriaud, 1998, p. 18). L’œuvre d’art s’est par conséquent dématérialisée et fragmentée, au point de forcer les institutions muséales à s’interroger sur leur rôle de « distributeurs d’art » et à réinventer leurs espaces, afin d’offrir au grand public l’expérience la plus inclusive et participative possible.
L’émergence des « musées radicaux »
Ces 40 dernières années, le modèle prédominant du musée noble et élitiste, qui datait du XIXe siècle, a progressivement laissé place à une prolifération de nouvelles institutions hybrides et « anti-hégémoniques » : « plus expérimentales, moins définies et qui offrent une implication plus politique envers notre époque historique » (Bishop, 2013, p. 6). Pour paraphraser Claire Bishop dans son célèbre essai Vers un musée radical, l’objectif des nouveaux musées est de comprendre l’art contemporain en sa qualité de méthode dialectique et de projet sociopolitique, dans lequel le visiteur ne se contente pas d’admirer les œuvres, mais doit aussi les comprendre, s’impliquer et donc créer un lien social et culturel avec elles. Le musée radical, comme l’appelle cette spécialiste, se construit par une triple action : se réinventer sous la forme d’un acteur historique actif, capable de remettre en question le passé culturel et de faire entendre la voix des minorités et des pratiques marginalisées ou oubliées, se débarrasser de la contemplation sacrée des œuvres individuelles, tout en « défétichisant les objets en juxtaposant les œuvres et leur documentation, leurs copies et leurs reconstructions ».
Ces dernières années, bien des institutions ont ajouté de nombreuses pratiques sociales et culturelles à leurs fonctions traditionnelles, pour mieux sensibiliser les visiteurs à l’histoire et à l’art. La modernisation des espaces muséaux que l’on observe actuellement a entraîné la création de nouvelles activités, qui font du musée un laboratoire participatif de liens sociaux. On peut notamment citer les ateliers destinés aux jeunes ou les projets de recherche qui impliquent des professionnels de diverses disciplines. Des activités participatives sont développées en même temps que des expositions temporaires, dans le but de comprendre le sens ultime de celles-ci, tout comme celui des cycles de performances expérimentales, comme on le voit dans les dernières tendances artistiques.
Le musée, acteur social : l’expérience du Street Art Museum d’Amsterdam
Créé en 2012, le Street Art Museum d’Amsterdam (SAMA) possède une collection de plus de 300 œuvres d’art contemporain exposées dans les différents quartiers de la ville, principalement dans celui de Nieuw-West. Le but de ce musée est de disséminer et de préserver l’art urbain, tout en devenant un point de référence à l’échelle de la ville pour le street art. Les œuvres exposées sont réalisées avec la participation de la communauté locale, qui peut prendre part à chaque étape, du choix de l’œuvre à sa création. La force participative latente du street art comme forme de collaboration a permis de créer une microcommunauté unie par un sentiment d’identité commune au sein du quartier.
Le SAMA s’implique dans l’organisation d’événements sociaux susceptibles de réveiller les jeunes du quartier et d’Amsterdam pour mieux les ouvrir au monde de l’art urbain, selon les théories de Claire Bishop et la notion d’art participatif. Ces neuf dernières années, le musée a mené des projets inclusifs, tels que Food4Smiles ou Midzomer Mokum. Il a également proposé des résidences d’artistes, l’occasion pour le mouvement de l’art urbain néerlandais de croître et de se mêler aux tendances européennes, asiatiques, africaines et latines. Pour mieux comprendre et créer de l’art, le SAMA s’appuie fortement sur le multiculturalisme dans l’art et la société. Il développe en ce moment une série d’activités publiques conçues pour redynamiser la vie culturelle quotidienne des jeunes d’Amsterdam. Le musée est persuadé qu’il est crucial de promouvoir un art social, public et engagé pour l’environnement, surtout au vu des restrictions imposées par la crise sanitaire. En mars et avril 2021, par exemple, le SAMA a lancé un podcast en partenariat avec les étudiants d’une université locale. Les jeunes habitants de Nieuw-West, qui ont grandi aux côtés de l’institution cette dernière décennie, y ont raconté son histoire et parlé de ses activités. Le musée a aussi inauguré, sur la même période, un cycle d’événements, « l’Oasis de l’art urbain », dont le but est de créer un espace sécurisé pour la création artistique et les rencontres, dédié aux jeunes du quartier.
Par le biais de ces projets, le SAMA fait donc sien le nouveau paradigme radical qui influence la sphère muséologique ces dernières années, celui des musées anti-hégémoniques/des musées d’art engagés socialement. Comme l’ont anticipé de nombreuses institutions et bien des critiques du domaine, il est aujourd’hui nécessaire de repenser la nature des musées, de laisser la place à de nouvelles pratiques artistiques, au-delà des murs. Il faut en outre créer un espace pour l’art social, dans lequel le visiteur peut devenir acteur de la culture dans son quartier.
Références et ressources
Benjamin, W. The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction. New York: Schocken Books, 1969.
Bourriaud, N. Relational Aesthetics. Dijon : Les Presses du réel, 2002.
Bishop, C. Vers un musée radical – Réflexions pour une autre muséologie. MkF éditions, 2021.
Site internet du Street Art Museum d’Amsterdam : https://www.streetartmuseumamsterdam.com/
Projet Food4Smiles : https://www.streetartmuseumamsterdam.com/food4smiles
Projet Midzomer Mokum : https://www.streetartmuseumamsterdam.com/midzomer-mokum
Mouvement de l’art urbain néerlandais : https://www.streetartmuseumamsterdam.com/post/art-impulse-geuzenveld
Activités de l’Oasis d’art urbain en 2021 : https://www.streetartmuseumamsterdam.com/urban-art-oase
Podcast Calandlyceum : https://www.streetartmuseumamsterdam.com/cultuurfonds-calandlyceum-podcast
À propos du SAMA :
Sen, A. « In Conversation with Street Art Museum Amsterdam Founder, Anna Stolyarova », Made In Bed, 2021. Disponible sur : https://www.madeinbed.co.uk/interviews/anindya-sen-in-conversation-with-street-art-museum-founder-anna-stolyarova
En savoir plus sur l’exposition Magic Dozen – Street Art in Amsterdam Nieuw-West : https://www.streetartmuseumamsterdam.com/post/the-exhibition-magic-dozen-is-open
Événement secondaire Office Walk With a Twist | Anna Stolyarova | TEDxAmsterdam Schiphol : https://www.youtube.com/watch?v=8tJyhu–viU&t=5s&ab_channel=SpotSchipholCommunity
« State of the Art ». Mobile Marketing, 2016, numéro 24, p. 14. Disponible sur : https://issuu.com/davidmurphy/docs/mobile_marketing_september_2016
Klaassen, N. « How Amsterdam is reshaping reality as we know it ». The Drum, 2016. Disponible sur : https://www.thedrum.com/industryinsights/2016/09/28/how-amsterdam-reshaping-reality-we-know-it
Hanc, J. « Museums With Ideas, Goals and Sometimes Art. But Walls? No ». The New York Times, 2017. Disponible sur : https://www.nytimes.com/2017/03/14/arts/design/museum-of-homelessness-london-no-building.html?_r=0