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novembre 16, 2023

ICOM Voices Comment désigner les artistes non-binaires dans les textes des expositions

Edmundo Albornoz Pinto

Historien de l’art, chercheur et médiateur culturel

Mots clés : institutions, exposition, genre, LGBT+

Note de la traductrice : cet article a été écrit en espagnol. L’usage des pronoms masculins et féminins étant différent dans cette langue, la traduction en français ne permet pas toujours de montrer la spécificité des choix effectués en matière de langage inclusif ; les expressions en espagnol sont donc parfois indiquées entre crochets.

Vous imaginez-vous être exposé·e sous un nom et un genre qui ne sont pas les vôtres ? C’est le dilemme auquel sont confronté·e·s dans les musées les artistes non-binaires qui, pour diverses raisons, ont changé leur nom, leur genre ou le pronom qu’iels utilisent.

Le pourcentage de la population qui ne se reconnaît pas dans la binarité de genre ne cesse d’augmenter. Une étude menée par l’organisation The Trevor Project (2019) a conclu qu’un jeune LGBT+ sur quatre est dans cette situation. Ainsi, avec l’arrivée d’œuvres de jeunes artistes dans les collections des musées, la non-binarité est devenue une réalité indéniable pour les institutions culturelles, et celles-ci doivent s’y préparer.

Afin d’aborder ce thème, je m’intéresserai à la circulation des œuvres de Seba Calfuqueo, artiste mapuche et non-binaire, à la recherche de méthodes pour l’exposition d’artistes non-binaires.

1. Ne pas faire référence au genre

Le conservateur mapuche Cristian Vargas Paillahueque a collaboré plusieurs fois avec Calfuqueo, comme par exemple, pour les expositions Ko ñi weychan (2020) à la Galería Metropolitana, et Kalul ñi tukulpan (2021) au Centro cultural de España, à Santiago. Dans la première, on y montrait une installation vidéo intitulée Welu Kumplipe (2018) et, dans la seconde, la performance intitulée Ko ta mapungey ka (2020).

Dans les deux expositions, dont le commissariat était assuré par Cristian Vargas Paillahueque, à aucun moment le genre des artistes n’était mentionné. Dans la seconde exposition, le conservateur écrivait : « Dans une optique décolonisatrice, les œuvres de Paula et [Seba] présentées dans l’exposition, dont quelques-unes sont inédites, ré-introduisent la perspective d’un débat toujours en cours […] » (Vargas, 2021). De cette façon, il parvient à faire référence à deux artistes, l’une dotée d’un pronom féminin (Paula) et l’autre de pronoms neutres (Seba), sans attribuer aucun genre dans ses textes descriptifs.

2. L’usage de signes typographiques

En 2021 a été inaugurée en Argentine l’exposition Cuando cambia el mundo: preguntas sobre arte y feminismos [Quand le monde change : questions sur l’art et le féminisme], dont la commissaire était l’historienne Andrea Giunta. Dans cette exposition organisée au Centro Cultural Kirchner, celle-ci choisit de réunir cinq artistes qui « proposent des points de vue différents sur le féminisme, à la fois très forts selon une perspective historique et urgents selon une perspective contemporaine » (2021). Parmi ces artistes se trouvait Seba Calfuqueo. À cette occasion, l’artiste exposait deux pièces audiovisuelles, Asentamiento (2015) et Buscando a Marcela Calfuqueo (2018). Dans son texte, Andrea Giunta avait recours à une autre tendance utilisée dans les cercles féministes et queer latino-américains cherchant un langage neutre, qui consiste à remplacer la voyelle marquant le genre par un signe typographique. Le « x » est ainsi utilisé : « lxs artistas », par exemple, pour ne pas avoir à écrire « los artistas » ou « las artistas » [Note de l’éditrice : En espagnol, le nom commun « artista » est non-genré et donc neutre, comme « artiste » l’est en français]. Le signe typographique « @ » est aussi parfois utilisé : « l@s artistas ».

À cette occasion, la conservatrice a remplacé la voyelle du pronom marquant le genre – ainsi que celle du nom commun qui suit le pronom – par le signe typographique « + » (plus): « Pouvons-nous apprendre de nos cultures d’origine d’autres formes de compréhension de la relation entre les humain+s et la nature, entre notre corps et les possibilités du désir ? » (Giunta, 2021). [Le « + » n’est pas utilisé de cette manière en français, il permet ici de transcrire l’utilisation du « + » en espagnol, puisqu’en langue originale, « l+s human+s » était utilisé]. Elle emploie cette façon d’écrire dans toute la publication, et pas seulement pour les artistes non-binaires, prenant le parti d’un langage inclusif dès le début de son texte.

La même pratique se retrouve dans l’exposition intitulée Y de pronto ya no había más orilla [Et tout à coup il n’y avait plus de rive] (2022), dont les commissaires étaient Gala Berger et Miguel A. López. Dans ce cas, la voyelle du pronom marquant le genre a été remplacée par un « x » : « Les pièces de ces artistes [« estxs artistas »] qui appartiennent à la collection Il Posto […] » (2022). Le but est de combattre l’idée que le masculin est neutre dans la langue espagnole puisqu’il exclut toutes les personnes qui utilisent d’autres pronoms. [Cela est également le cas dans la langue française.]. Avec l’utilisation de signes typographiques comme « x », « + » ou « @ » toutes les identités sont englobées : hommes, femmes et personnes non-binaires, sans avoir recours aux pronoms traditionnellement considérés comme masculins ou féminins.

[En français, plusieurs manières de rendre le langage neutre en utilisant des signes typographiques sont employées : 

– il est possible d’utiliser des parenthèses (ex : les humain(e)s), mais l’écueil fait à cette proposition est que le féminin est relégué au second plan

– il est possible d’utiliser le point médian (ex : les humain·e·s, les traducteur·ices)

Dans les cercles féministes et queer, la contraction du masculin et du féminin est également utilisée (ex : les traducteurices, contraction de traducteurs et traductrices)].

3. L’usage de iel / they / them

En 2021, une autre œuvre de Calfuqueo est exposée à la 34e Biennale de São Paulo, Tantas veces apumngeiñ (2016).

Le texte descriptif est en anglais et commence par la présentation de l’artiste et de son travail : « In most of their work, Seba Calfuqueo […] » (34e Biennale de São Paulo, 2021). L’utilisation du pronom possessif « their », dérivé des pronoms « they/them », permet en anglais de se référer aux personnes qui ne se reconnaissent ni dans les pronoms masculins ni dans les pronoms féminins. L’équivalent français est le pronom « iel » [en espagnol, elle]. Par exemple, « the artist announced that they are non-binary » qu’on peut traduire par « l’artiste a annoncé qu’iel est non-binaire [en espagnol, « le artista anunció que elle es no binarie »].

[Le pronom « Iel », créé pour qu’un pronom neutre existe, est une contraction des pronoms « il » et « elle ». Au pluriel, « iels » est utilisé].

Au Chili, la conservatrice Mariairis Flores a également donné l’exemple, dans l’exposition Espejo de agua / Esporas [Miroir d’eau / Spores] (2020), présentée à la Galerie Patricia Ready. La conservatrice respecte l’identité de l’artiste et utilise les pronoms neutres pour se référer à Calfuqueo : « De par ses origines mapuches, en partant de son expérience et en toute honnêteté, l’artiste propose une relation d’intégration entre la Nature et l’être humain, conférant à la première le statut de sujet de droit. L’artiste souligne [« Señala le artista »] […] » (Galerie Patricia Ready, 2020). [Cet exemple ne fonctionne pas en français, l’article « l’ » utilisé avant un nom commun comme « artiste » n’étant pas genré. Si nous prenons comme exemples d’autres noms communs, le problème se pose en revanche. La proposition faite par certaines personnes pour rendre créer un article neutre est la suivante : « le·a » ou « lea » traducteur·ice/traducteurice]. Cette modalité est idéale car c’est celle que l’artiste préfère ; de plus, c’est la plus employée par la population non-binaire. Elle se lit aisément, contrairement aux tournures avec le « x » ou tout autre signe typographique, et permet une traduction facile, ayant un équivalent en anglais. Dans tous les cas, il est conseillé de demander aux personnes concernées quels pronoms elles utilisent plutôt que de faire des déductions basées sur son expression de genre.

En définitive, si l’on souhaite réaliser une lecture appropriée des œuvres réalisées par des artistes non-binaires, il est nécessaire de comprendre, d’accepter et de rendre visible leur identité de genre. Ainsi, la personne qui écrit un texte à leur sujet doit leur demander d’indiquer les pronoms qui les désigne pour ensuite l’utiliser dans la fiche descriptive, dans les textes de l’exposition, les catalogues, les réseaux sociaux, les autodescriptions ou toute autre publication. Ce type de langage permet non seulement de prendre en compte l’artiste et son œuvre mais également de rendre visibles et bienvenus les publics non-binaires qui se rendent dans les espaces culturels et lisent des textes sur l’art.

Les identités non-binaires sont une réalité ; elles existent, nous existons. Dans cet article, je présente trois formes qui peuvent être utilisées à l’écrit pour inclure les différentes identités de genre. C’est une invitation à les incorporer dans nos pratiques, tant dans la sphère personnelle qu’institutionnelle. Nous débattons souvent des récits qui ont été invisibilisés tout au long de l’histoire. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de les intégrer à l’Histoire. Ne regrettons pas demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui.

Bibliographie :

Berger, Gala et López, Miguel, Y de pronto ya no había más orilla, Santiago, Il Posto, 2022

Biennale de São Paulo, Seba Calfuqueo, 34 bienal de Sao Paulo, 2022

Galerie Patricia Ready, Espejo de agua / Esporas, Santiago, Galería Patricia Ready, 2020

Giunta, Andrea, Cuando cambia el mundo: preguntas sobre arte y feminismos, Buenos Aires, Centro Cultural Kirchner, 2021

The Trevor Project, Diversity of Youth Gender Identity, 2019

Vargas Paillahueque, Cristián, Exposición Kalul ñi tukulpan, Centro Cultural de España en Santiago (CCESantiago), 2021