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octobre 31, 2023

ICOM Voices Lorsqu’une ville devient un musée immersif en faveur de la biodiversité : expériences à la COP15 de Montréal

Liu Gaoli

Membre de l’équipe de recherche et de conservation, musée national du peuple Aïnou ; membre d’AVICOM

Mots clés : expérience immersive, Autochtone, biodiversité, musée ouvert, COP15.

Présidée par la Chine et accueillie par le Canada, la 15e Conférence des Parties (la COP15) à la Convention des Nations unies sur la diversité biologique s’est tenue à Montréal du 7 au 19 décembre 2022, avec la présence de représentants de 188 gouvernements. Au-delà de la zone bleue réservée aux délégués officiels, un certain nombre d’activités déployées dans la zone verte et à travers la ville offraient des expériences multisensorielles en libre accès.

Montréal fut transformée en un musée immersif en faveur la biodiversité, permettant aux habitants et aux visiteurs de se plonger dans les sujets abordés lors de la Conférence. J’avais initialement été invitée au Québec en tant que professionnelle de musée, mais, étant sur place, j’eus la chance de pouvoir également partiellement participer à la COP15.

Dans cet article, j’aimerais revenir sur cette expérience, qui a été immersive grâce aux événements physiques et virtuels qui furent organisés dans les espaces réservés aux expositions ainsi que dans les rues de Montréal – le simple fait de marcher dans la ville offrait la possibilité de vivre des expériences en lien avec les thèmes de la COP15.

L’expérience de rituels Autochtones actuels

L’Initiative de leadership Autochtone avait mis en place un Village Autochtone dans la zone verte : celui-ci offrait un espace afin que les peuples Autochtones de la région et du monde entier puissent présenter leur culture et exprimer leurs préoccupations vis-à-vis des terres et des ressources. La scène et le podium principaux étaient hébergés dans un shaputuan innu traditionnel (une grande tente), prévue pour pouvoir accueillir plus de cent personnes. Il y avait également une maison longue et un tipi selon le style d’autres communautés Autochtones.

Le programme de trois jours, entièrement accessible au public, était centré sur le leadership Autochtone et sur les efforts des communautés Autochtones pour conserver la biodiversité. Il comprenait des tables rondes, des démonstrations artistiques et des stands de nourriture traditionnelle. Des pièces d’art traditionnel réalisées par des personnes Autochtones étaient vendues sur place, ainsi que d’autres produits.

Le jour de l’ouverture, un gardien du savoir Autochtone réalisa la cérémonie de l’Allumage du Feu Sacré et distribua du tabac séché aux participants. Cette cérémonie permit au groupe rassemblé de présenter des offrandes au feu en guise de bénédictions et de prières, favorisant un lien entre les humains et l’Esprit naturel. Le message de la cérémonie est transmis au Monde spirituel une fois le tabac jeté dans le feu. Le feu sacré dissipa la fraîcheur matinale et fit se rapprocher toutes les personnes présentes, alors même qu’elles ne se connaissaient pas avant la cérémonie. Les anciens firent part de récits concernant leur lien avec leurs ancêtres et leur histoire, un moment qui fut suivi par une cérémonie de la fumée à l’intérieur du shaputuan. Toucher cette plante, sentir l’odeur de la fumée et la chaleur du feu nous permit d’expérimenter une partie d’une culture Autochtone mais aussi de ressentir des liens plus profonds avec la nature et entre nous tous.

Fig. 1. Le Village Autochtone au sein de la zone verte. © Gaoli Liu

L’utilisation de la réalité virtuelle

La technologie de réalité virtuelle (VR) s’est avérée, lors de la COP15, être un outil puissant pour impliquer les participants et optimiser l’apprentissage dans différents secteurs. Sa versatilité et son efficacité se sont pleinement illustrées lors de la Conférence, où elle a été utilisée pour présenter des initiatives durables et des exemples de cultures Autochtones.

La Conférence a organisé au moins deux événements VR distincts, à savoir une exposition fascinante proposée par l’Union européenne dans la zone verte, et un autre événement qui s’est déroulé à l’Office national du film du Canada (ONF), situé dans le très animé centre culturel et économique de la ville. Les visiteurs eurent la chance de pouvoir participer au total à cinq ou six programmes VR qui leur permirent de découvrir des cultures Autochtones, de réfléchir à des questions environnementales et de se confronter le message de la Conférence en faveur de la durabilité.

Fig. 2. Les casques et les télécommandes de réalité virtuelle à l’Office national du film du Canada (ONF). © Gaoli Liu

Grâce aux casques et télécommandes VR, les participants étaient transportés dans un monde virtuel qui ressemblait beaucoup à la réalité. L’expérience immersive offrait un nouveau niveau d’interactivité, permettant aux usagers d’explorer des mondes virtuels et d’interagir avec des objets et des personnages numériques d’une manière qui était auparavant impossible.

L’une des expériences les plus remarquables, Biidaaban, transportait les utilisateurs dans un Toronto futuriste où la nature avait repris ses droits sur la ville. Dans cette réalité virtuelle, je me suis retrouvée debout tout en haut d’un immeuble, comme au-dessus d’un précipice, et entourée d’une nature complètement sauvage. Grâce à l’expérience immersive, j’ai pu interagir avec plusieurs langues de cette région autrefois connue comme Tkaronto, et accéder à des textes écrits par des peuples Autochtones comme les Wendats, les Mohawks et les Ojibwés.

Plastisapiens, un autre programme VR, permettait aux participants d’entrer en résonance avec le plastique, cette matière si répandue que nous utilisons tous. Tout en entrant en contact avec différents organismes virtuels, j’observais mon être (virtuel) fusionner avec le plastique, une expérience symbolisant un possible avenir où les matériaux synthétiques et la biologie humaine coexisteraient. Cette expérience immersive nous pousse à réfléchir à notre relation avec le monde naturel et à la manière dont notre environnement modèle notre identité, même au niveau génétique.

Fig. 3. Un employé et une personne participant à une expérience VR, à l’ONF. © Gaoli Liu

Selon moi, le recours à la réalité virtuelle pour promouvoir la durabilité et préserver la culture Autochtone est une approche très efficace. En immergeant les utilisateurs dans un environnement virtuel, la VR leur permet de se concentrer sur le contenu sans aucune distraction extérieure. Cette technologie novatrice permet aux utilisateurs d’avoir accès à des éclairages et des perspectives uniques qui ne sont pas toujours à portée de main dans le monde réel. En outre, la réalité virtuelle procure une plateforme plus sûre pour explorer des sujets dangereux ou sensibles. Cette expérience immersive peut favoriser une prise de conscience concernant l’impact de nos actions sur l’environnement et inciter les gens à agir.

Expériences immersives à l’échelle de la ville

Contrairement aux expériences qui viennent d’être mentionnées, circonscrites dans le temps et dans un lieu physique, les visiteurs qui se promenaient dans les rues du centre culturel de la ville pouvaient librement interagir avec les sculptures présentes dans l’espace public. Créées par des artistes et axées sur le thème du changement climatique, ces œuvres d’art captivaient les spectateurs. Leur conception originale attirait l’attention et incitait les spectateurs à les toucher ou à les prendre en photo, encourageant une participation active. Le quartier abrite aussi des galeries d’art et des musées qui accueillaient des expositions sur le même thème. En raison de la date de la conférence, qui coïncidait avec d’autres événements artistiques comme l’installation Cité Mémoire et l’expérience AURA, le public a pu assister à un grand parcours de projections vidéo ainsi qu’à un spectacle de lumière qui mettaient en relief des thèmes proches et l’histoire de la ville, offrant une expérience immersive et permettant aux visiteurs d’explorer Montréal d’une façon plus enrichissante.

Fig. 4. Une sculpture grandeur nature et en glace d’un ours polaire. Au fur et à mesure que fondait la glace, le squelette de l’animal apparaissait. © Gaoli Liu

Conclusion

L’espace public de Montréal pour la COP15 a ainsi été transformé en un centre d’expérimentation et d’innovation dans plusieurs domaines – notamment la technologie, l’art et le design. Cette transformation fit de la ville une immense exposition immersive qui présentait les merveilles de la biodiversité. Ce modèle pourrait être un excellent exemple pour une exposition muséale qui combinerait les expériences physiques et virtuelles.

Les mérites respectifs des expositions physiques et des expositions virtuelles font souvent l’objet de débats, mais en vérité les unes comme les autres ont leurs propres avantages. Les expositions physiques, assorties de leurs expériences – les odeurs, les sons, les foules et les échanges, favorisent la communication et rapprochent les gens. Les expériences virtuelles, quant à elles, présentent une manière interactive d’acquérir une compréhension plus profonde sur un sujet, et ce en brouillant la frontière entre la réalité et la fiction et en faisant vivre des expériences amusantes et mémorables qui impliquent activement les visiteurs.

Associés, les deux composants, le physique et le virtuel, peuvent créer une exposition muséale immersive et inoubliable. En exploitant le potentiel des deux, les musées peuvent continuer à repousser les limites du possible et offrir aux visiteurs un aperçu des merveilles de notre monde.

Fig. 5. Rue où sont exposées des pièces d’art interactives, Montréal. © Gaoli Liu

 

Remerciements :

Délégation générale du Québec à Tokyo

Ressources :

https://www.canada.ca/en/services/environment/wildlife-plants-species/biodiversity/cop15.html

https://www.unep.org/news-and-stories/story/cop15-ends-landmark-biodiversity-agreement

https://www.ilinationhood.ca/

https://www.lapresse.ca/voyage/quebec-et-canada/2022-12-05/cop15/montreal-veut-briller-ailleurs-qu-au-palais-des-congres.php

https://www.ilinationhood.ca/events/copindigenousvillage

https://www.canada.ca/en/national-film-board/news/2022/12/the-nfb-and-telefilm-canada-at-cop15–green-space-at-the-nfbtake-a-biodiversity-break-with-films-and-vr-works.html

https://www.nfb.ca/