Samana Fatema
étudiante en master au département d'Archéologie de l'université de Jahangirnagar (Bangladesh)
Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau
novembre 26, 2024
Mots-clés : Musée de site, Patrimoine, Khalifatabad, Bagerhat
Le musée régional de Bagerhat, établi en 1994 par le département d’Archéologie du gouvernement du Bangladesh, joue un rôle essentiel en tant que musée de site établi près de la célèbre mosquée dite des Soixante Piliers ou des Soixante Dômes (Mosquée Shaith Gumbad) à Bagerhat, site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce musée, qui conserve les artefacts et les vestiges architecturaux de la ville médiévale de Khalifatabad, offre également aux visiteurs un aperçu immersif du patrimoine culturel et historique de la région.
L’établissement et la vocation du musée de Bagerhat
Le musée de Bagerhat a été construit pour conserver, exposer, et instruire le public sur l’héritage historique et culturel de la ville médiévale de Khalifatabad, située aujourd’hui dans le district de Bagerhat. La mosquée des Soixante Piliers, pièce maîtresse de cette cité ancienne, est le point central autour duquel est structuré le musée. Le musée de site a pour vocation d’abriter les artefacts et matériaux découverts lors des fouilles archéologiques des tertres environnants, et notamment la résidence de Khan I Jahan et les chaussées, la cuisine, et les salles à manger attenantes, riches en enseignements sur l’urbanisme et la vie quotidienne des premiers habitants de la région.
Ulugh Khan I Jahan et la ville médiévale de Khalifatabad
La valeur archéologique de Bagerhat est étroitement liée au personnage historique de Ulugh Khan I Jahan, un important chef musulman qui aurait été gouverneur de province du sultanat de Delhi. Venu de Jessore, Khan I Jahan s’installa dans la région, sur les berges de la rivière Bhairab, voie de communication et de commerce d’une importance vitale. Il s’implanta d’abord à Barobazar, dans l’actuel district de Jhenaidah, où il débuta sa mission visant à diffuser l’islam et à établir la domination musulmane dans la partie sud du Bengale.
Khan I Jahan et ses disciples se fixèrent ensuite dans la zone de Bagerhat, où ils construisirent un très grand nombre d’édifices religieux et séculiers. Les sources historiques estiment que jusqu’à 360 mosquées, ponts, routes, citernes, mausolées, et autres bâtiments publics furent construits dans la zone de Bagerhat, ce qui en fit un important pôle musulman dans le Bengale médiéval. Des édifices majeurs tels que la mosquée Bibi Begani, la mosquée Singair, la mosquée Chunakhola, et le mausolée de Khan I Jahan sont encore aujourd’hui des symboles de sa vision architecturale.
Aménagement du musée et de ses expositions
Le musée de Bagerhat est un bâtiment de plain-pied, bien pensé, qui occupe une superficie de 520 m2. Situé au sud-est de la mosquée des Soixante Piliers, le musée est accessible par la porte sud de la mosquée. Le bâtiment est doté d’un hall central entouré de galeries octogonales conçues pour s’harmoniser avec l’architecture de la mosquée et l’esthétique régionale de dômes caractéristiques du sultanat.
Les galeries du musée abritent une grande variété d’artefacts et autres éléments muséographiques, tous soigneusement présentés de manière à refléter l’histoire et la culture matérielle de Khalifatabad. La galerie d’introduction comporte une carte du Bangladesh mettant en relief les sites archéologiques, avec une attention particulière portée sur le district de Bagerhat et la ville de Khalifatabad. Des cartels en bengali et en anglais fournissent aux visiteurs des informations contextuelles et un plan des galeries et de leur contenu.
Le musée dispose d’une maquette de la ville ancienne de Khalifatabad. Elle indique l’emplacement des mosquées, des tombes, et autres édifices importants, et offre ainsi un aperçu instructif en trois dimensions du paysage urbain de cette ville médiévale. La première galerie du musée expose des artefacts tels que des plaques en terre cuite, des ustensiles en pierre ou en terre cuite, des carreaux de faïence, et des os d’animaux. Ces objets, disposés dans les vitrines en verre, instruisent le visiteur sur la vie quotidienne, l’artisanat, et les expressions artistiques des habitants de Khalifatabad.
Mise en valeur d’un riche patrimoine multiculturel
Le musée comporte également une galerie de photos de bâtiments datant des périodes du sultanat et de l’empire moghol, qui illustrent l’évolution des styles architecturaux de la région. Parmi les pièces exposées, on remarque un crocodile empaillé, spécimen ayant vécu dans le grand bassin de Thakur Dighi, situé près de la mosquée aux Soixante Piliers. Cette section de l’exposition introduit les visiteurs du musée à l’histoire naturelle de la région.
Des artefacts et des informations concernant d’autres villes médiévales, telles que Shahar Muhammadabad (Barobazar) dans le district de Jhenaidah, sont également présentés dans le musée. Barobazar, qui serait le lieu de départ de l’épopée de Khan I Jahan, est représenté par divers objets exposés, parmi lesquels des reliques et des textes historiques.
Traces d’occupation préislamique
Le musée ne se contente pas d’exposer le patrimoine musulman, il met également en lumière la présence préislamique qu’a connue la zone de Bagerhat. Des fouilles ont mis au jour des sculptures hindoues et bouddhiques (comme la fameuse statue d’Akhshobhyo découverte lors des fouilles de Thakur Dighi), ce qui témoigne de la richesse et de la diversité de l’histoire religieuse de la région avant l’arrivée de l’islam. Parmi d’autres découvertes notables, on compte des sculptures de Vishnou, de Chamunda, et de Bouddha, ainsi que des vestiges de stupas bouddhiques dans les régions voisines de Kopilmuni et de Bahrat Bhayana. Ces découvertes sont essentielles pour reconstituer les divers épisodes de l’histoire du site de Bagerhat et illustrer la transition entre l’influence hindo-bouddhique et le règne musulman.
Enseignements des découvertes archéologiques
Le musée de Bagerhat offre aux visiteurs une vision globale de la vie urbaine et commerciale de sa florissante ville médiévale. L’abondance d’objets en pierre tels que des assiettes, des pilons, et des piliers, remontant aux XIVe et XVe siècles, indique que Bagerhat et Barobazar étaient des carrefours commerciaux très actifs. En outre, la découverte de briques gravées, de plaques en terre cuite, et de carreaux de faïence suggère que ces villes étaient ornées d’éléments architecturaux décoratifs, ce qui témoigne d’un niveau avancé de développement artistique et architectural.
Le musée régional de Bagerhat fournit de précieuses connaissances sur l’histoire, la culture, et l’architecture de la ville médiévale de Khalifatabad et de ses environs. Au fil de ses expositions, il instruit le visiteur sur les transformations culturelles qui ont eu lieu dans la région à travers les siècles, des influences hindo-bouddhiques à l’hégémonie musulmane. En conservant et en présentant ces trésors, le musée veille à ce que ce site du Patrimoine mondial de l’UNESCO reste accessible et apprécié, et met en lumière la richesse et la portée de l’histoire de Bagerhat.
REFERENCES
Ahmed, M. N. and Kabir, N. 2019. [En ligne]. A Case Study of Bagerhat Museum and Representation of Khalifatabad in the Museum. Journal of RSTU. Accessible à cette adresse : https://www.academia.edu/99820461/Bagerhat_Museum_final_for_publication [Consulté le 8 Oct. 2024].
Ahmed, N. 1984. Discover the Monuments of Bangladesh. Dhaka: The University Press Limited.
Ahmed, N. 1989. The Buildings of Khan Jahan In and Around Bagerhat. Dhaka: The University Press Limited.
Dani, A. H. 1961. Muslim Architecture in Bengal. Dacca: Asiatic Society of Pakistan.
Guha-Thakurta, T. 2004. Monuments, Objects, Histories: Institutions of Art in Colonial and Post-Colonial India. New York: Columbia University Press, pp. 43-82.
Hall, S. 1997. Representation: Cultural Representations and Signifying Practices. London: Sage Publications in association with Open University.