ICOM Voices
Le grand saut vers le numérique : l’adaptation des musées au Covid-19 et ses conséquences sur le long terme
Michael Louis Eulenstein et Dr Michael H. Faber
assistant de recherche à l’université de Hildesheim, département 4 : mathématiques, sciences naturelles, économie et informatique / président du Comité international pour l’audiovisuel, les nouvelles technologies et les médias sociaux (AVICOM)
Une enquête sur les stratégies numériques des musées pendant la pandémie et sur l’avenir de la participation des publics
La pandémie de Covid-19 a donné lieu à des défis sans précédent pour les musées du monde entier, qui se sont retrouvés forcés de développer des stratégies numériques pour rester présents auprès du public et maintenir sa participation. Le rapport du projet de solidarité ICOM-AVICOM/ICOM-MPR (Comité international pour l’audiovisuel, les nouvelles technologies et les médias sociaux et Comité international pour le marketing et les relations publiques dans les musées), mené en coopération avec ICOM Allemagne, a étudié les approches numériques de 173 musées à travers 51 pays, sur tous les continents. Cet article présente les résultats de cette étude globale ainsi que l’impact potentiel, pour les musées de petite à moyenne taille, de ces approches sur les relations publiques et le développement du public à l’ère du numérique.
Les objectifs
Pendant la pandémie et les confinements que nous avons connus, maintenir un lien avec les publics a été un des défis à relever pour les musées. Nombre d’entre eux étaient déjà présents en ligne et sur les réseaux sociaux avant 2020, mais le Covid-19 les a obligés à renforcer activement leur offre numérique en proposant de nouveaux formats : podcasts, visites guidées ou encore services de médiation en ligne. Ces initiatives visaient à dépasser la distance physique et à permettre aux musées de rester en contact avec leur public.
L’objectif de l’enquête était de comprendre comment les musées ont tiré parti de leurs sites internet et de leurs comptes sur les réseaux sociaux pour maintenir ou accroître leur présence en ligne, et traiter non seulement de la pandémie, mais aussi d’autres événements d’importance pour le public. Les questions s’intéressaient principalement aux nouveaux formats et canaux de communication mis en place, au langage visuel employé pour impliquer le public, à la durabilité de ces projets sur le long terme ainsi qu’aux stratégies déployées par chaque musée pour se distinguer des autres.
La méthode
Dans le cadre de la méthodologie de l’étude, nous avons développé MuseumMatrix, un outil d’évaluation composé de cinq catégories : le caractère instructif, la pertinence, l’adéquation de la plateforme, l’attention portée au visiteur et la durabilité. Chaque catégorie comprend plusieurs critères qui forment un système à points, et les institutions peuvent se voir attribuer un maximum de 100 points par catégorie. MuseumMatrix® a été conçu par Matthias Henkel[i] comme un outil d’évaluation qui doit permettre au secteur des musées d’enregistrer des données afin de les analyser de façon plus approfondie. Cet outil est conçu pour promouvoir les musées à une époque où l’attention portée aux visiteurs est toujours plus marquée. Il peut aider à évaluer leur transformation numérique pour mieux les guider et leur permettre de conserver toute leur pertinence pour leurs différents publics. Lors de l’enquête, l’outil devait avant tout servir à illustrer les performances numériques des musées pour en présenter graphiquement les résultats. Par exemple, la Fondation Beyeler (figure 1) obtient 92 points sur 100 dans la catégorie « Caractère instructif ». L’établissement possède une mission d’entreprise (10 points) et affiche des informations à jour sur l’exposition en cours (20 points) ; les heures d’ouverture et de fermeture sont bien indiquées (5 points), tout comme les mesures d’hygiène (10 points). Dans la catégorie « Pertinence », le musée obtient un score de 75/100. Il traite de sujets d’actualité : écologie, migration, diversité, santé mentale et données démographiques (10 points). Il ne propose cependant aucune exposition en lien avec le Covid (0 point). Dans la catégorie « Adéquation de la plateforme », il accumule 79 points sur 100.
La Fondation Beyeler est présente sur plusieurs réseaux sociaux, à savoir sur Facebook, Instagram, Twitter et YouTube (8 points chacun). Les informations dont le visiteur a besoin pour contacter la Fondation sont disponibles sur le site internet (5 points), et ce site propose une barre de recherche (5 points) utile aux visiteurs. La Fondation obtient par ailleurs un score de 64,5/100 dans la catégorie « Attention portée au visiteur » puisqu’elle propose des programmes éducatifs pour tous les âges (10 points) et facilite l’accès des visiteurs aux expositions, notamment en mettant à leur disposition des guides, des experts et des témoins directs des époques dont il est question (13 points). Toutefois, on ne trouve sur son site internet aucun document produit pour faciliter l’accès aux expositions (0 point). Pour finir, dans la catégorie « Durabilité », la Fondation obtient la note de 90 sur 100 points. Elle possède bien une identité visuelle claire (10 points), mais on note cependant l’absence de certains éléments comme des contenus dédiés à la couverture médiatique (3 points) et des outils pour réagir sur les réseaux sociaux (1,5 point).
Des exemples de bonnes pratiques
Voici quelques exemples de bonnes pratiques en matière d’offre numérique pour les musées. L’institut en plein air Inhotim de Brumadinho, au Brésil, a publié sa vidéo la plus populaire sur YouTube le 13 juin 2020. Cette vidéo de 4 minutes et 40 secondes a reçu plus de 5 000 « J’aime » pour 67 270 vues. « Todo o Sentimento: Orquestra de Câmara Inhotim » présente un message personnel et plein d’espoir délivré par le directeur du musée, lui-même accompagné par l’orchestre du musée, qui joue dans le magnifique parc de l’établissement. Y figurent également des plans en drone des superbes paysages de l’institution, des plans de l’orchestre de chambre ainsi qu’un entretien avec le directeur du musée et avec le chef d’orchestre de l’ensemble.
Si, au départ, ce sont les musées les plus grands et les mieux financés – comme l’institut Inhotim – qui ont le plus profité de la transformation numérique, les plus petites institutions, comme le musée d’Histoire médicale d’Ingolstadt (Allemagne), ont, elles aussi, prouvé qu’elles étaient capables de maintenir de forts liens avec leurs publics lors du confinement. Ce musée a en effet mis en place diverses stratégies, dont une série de médiations quotidiennes en ligne, #covid19history, dans laquelle étaient présentés des artefacts en lien avec les pandémies de l’histoire, comme les masques de vautour que portaient les docteurs lors de l’épidémie de peste noire.
D’autres, comme le Deutsches Panzermuseum (musée allemand des Blindés de Munster), ont fait des efforts pour attirer les visiteurs et créer des liens entre les expositions et les événements du moment. L’établissement a ainsi lancé une série de vidéos autour de la guerre en Ukraine dans l’objectif de faire participer son public en reliant les expositions historiques du musée aux problèmes actuels.
De nombreux musées ont profité de la pandémie pour explorer de nouveaux formats comme le podcast afin de stimuler leurs publics cibles. L’institut Inhotim[1], par exemple, a lancé un podcast en 2022. Le Museum am Rothenbaum – Kulturen und Künste der Welt d’Hambourg[2] s’était quant à lui lancé dès le premier confinement, en avril 2020.[3] On peut aussi citer le musée d’Histoire naturelle de Berlin (Museum für Naturkunde Berlin), qui a créé en 2020 un podcast devenu populaire, « Beats & Bones », centré sur son exposition du moment. Avec une note de 4,6 étoiles sur 5 sur Apple Podcasts[4] (noté par 393 utilisateurs), ce podcast est parvenu à accroître la portée du musée et à améliorer le taux de participation du public.
Conclusion
Le rapport sur ce projet de solidarité aidera les musées à tirer des enseignements des bonnes pratiques et des succès des autres institutions. Cette enquête met en lumière le potentiel innovant et créatif des pratiques muséales, grâce aux institutions qui ont testé de nouveaux canaux de communication, éléments interactifs et techniques de narration pour mieux captiver et éduquer les visiteurs. Ces nouvelles approches façonneront peut-être l’avenir des expériences muséales, aussi bien sur site qu’en ligne, au fil des évolutions du secteur. L’intégralité du rapport (disponible en anglais, en français et en espagnol) présente le score détaillé de chaque musée évalué, ainsi que d’autres exemples de bonnes pratiques, des statistiques et un index interactif. Il inclut également un article de Matthias Henkel, « Curating the Museum as a Brand » (« Gérer le musée comme une marque »), qui souligne combien il est important pour les musées d’établir une identité forte et reconnaissable et explique également quel est le rôle des stratégies numériques dans la constitution de l’image publique et de la réputation d’un musée.
Pour conclure, le rapport sur le projet de solidarité ICOM-AVICOM/ICOM-MPR fournit de précieuses données sur la transformation numérique des musées pendant la pandémie de Covid-19 et pour les années à venir. Alors que les musées doivent encore naviguer entre les défis et les opportunités qu’offre l’ère du numérique, cette enquête a tiré des leçons qui pourront les aider à choisir de futures stratégies et de nouvelles approches.
Pour plus d’informations sur l’enquête et pour accéder à l’intégralité du rapport, vous pouvez consulter ici :