Alejandra Linares-Figueruelo
Doctorante à l’université de Barcelone
Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau
décembre 18, 2023
Mots clés : musées satellites, régénération culturelle, implication de la communauté, transformation urbaine, dimension locale/mondiale
Les échos du monde dans des espaces locaux : le phénomène des musées satellites
Dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, les antennes muséales ou « musées satellites » (satellite museums en anglais) représentent des centres de confluence culturelle, qui transcendent les frontières géographiques et culturelles. Ces ramifications issues d’institutions préexistantes, pouvant comprendre des institutions monumentales comme le Louvre Abu Dhabi ou des initiatives plus locales comme le Louvre-Lens, ne sont pas de simples extensions mais bien des entités uniques qui reflètent leur communauté d’accueil.
Fondée en 1988, la Tate Liverpool est née durant une période difficile sur les plans économique et social ayant débuté dans les années 1970. Ayant pour toile de fond la lutte politique qui a eu lieu durant l’ère Thatcher, le musée est devenu un symbole de régénération urbaine et a joué un rôle clé dans la transition qui a vu Liverpool passer d’un grand centre industriel à un centre culturel, contribuant ainsi à la démocratisation culturelle de la ville et à la diversification de sa scène artistique. Plus de vingt ans plus tard, le projet Guggenheim Helsinki (2011-2016) allait susciter d’intenses débats sur la mondialisation culturelle confrontée à l’identité locale, les préoccupations principales ayant trait à la commercialisation potentielle et à l’érosion du patrimoine culturel local. Le projet donna lieu à un important débat de société, résumant très bien les défis que représente l’incorporation d’une institution culturelle mondiale à une identité culturelle locale et nationale.
La juxtaposition de ces deux cas, d’une part le succès de Liverpool et d’autre part les difficultés de Helsinki, soulève une question intéressante : quels sont les facteurs qui distinguent un projet de musée satellite couronné de succès d’un autre qui pourrait être voué à l’échec ? Dans cet article, j’étudierai les dynamiques nuancées des musées satellites, en examinant leur capacité unique à tisser les motifs complexes de la culture locale dans la trame mondiale du patrimoine culturel.
Résonance auprès de la communauté et transformation urbaine
Le succès d’un musée satellite dépend en grande partie de son aptitude à impliquer la communauté locale, ce qui va bien au-delà de l’attraction des visiteurs. Il doit pouvoir encourager la participation et refléter les identités des communautés locales. La Tate Liverpool illustre parfaitement cette approche ; en effet, elle s’est transformée en un centre culturel dynamique qui établit des liens avec ses habitants. Elle a joué un rôle déterminant dans l’enrichissement de la scène culturelle de Liverpool, et ce en mettant en valeur des artistes locaux et en contribuant également à la première Biennale de Liverpool (1998). Ces efforts, associés à des programmes qui encouragent la participation des artistes locaux et de la communauté, ont renforcé encore davantage son intégration dans le tissu social et culturel de la ville (Lorente, 1996). Par opposition, le Guggenheim a eu du mal à entrer en relation avec la communauté locale en raison d’un manque d’approches inclusives et participatives. Cela a conduit à une opposition publique à la construction du musée, soulignant un décalage avec les valeurs et les politiques culturelles de Helsinki. Le projet a échoué à impliquer les artistes locaux et les groupes communautaires, manquant ainsi des opportunités de dialogue et de programmation collaborative, ce qui a engendré une vive controverse (Ponzini, 2018).
Cependant, le potentiel de transformation des musées satellites va bien au-delà de l’engagement de la communauté. Ces derniers peuvent également avoir un impact significatif sur la régénération urbaine et sur la vitalité économique, notamment grâce à leur politique culturelle et à leurs structures de gouvernance. La réussite de la Tate peut être attribuée à son modèle de gouvernance, aligné sur les objectifs du développement culturel et urbain de Liverpool. Son approche de la gouvernance collaborative, qui implique des intervenants locaux dans la prise de décision, a permis d’assurer une grande réactivité par rapport aux besoins de la communauté, favorisant ainsi un sentiment d’appartenance et une identité partagés (Lorente, 2016).
L’identité architecturale et l’équilibre des dynamiques entre le local et le mondial
L’architecture d’un musée est bien plus qu’une simple structure physique ; celle-ci incarne l’identité de l’institution et sa relation avec l’environnement. Les musées satellites illustrent l’interaction complexe entre la conception architecturale, la dynamique entre les dimensions locale et mondiale et la durabilité, autant de facteurs cruciaux qui contribuent à leur réussite ou à leur échec. La Tate Liverpool, située dans le secteur historique de l’Albert Dock, a été une adaptation architecturale réussie, et symbolise le passage d’un port historique à un centre culturel. Cette décision architecturale montre comment la Tate est parvenue à trouver un équilibre entre la marque mondiale et la culture locale. Ses expositions et ses programmes visent aussi bien un public international qu’un public local. Par contraste, le Guggenheim a fait face à d’importants problèmes et a échoué à associer son envergure mondiale au caractère architectural et au contexte culturel uniques de Helsinki. Cherchant à répliquer le succès du Guggenheim Bilbao, le projet a eu du mal à convaincre par sa conception architecturale et à établir un modèle financier viable adapté à l’environnement culturel et économique de Helsinki. Cela mena à des défis liés à la durabilité financière, et finalement à l’annulation du projet, mettant ainsi en lumière les tensions complexes entre identité internationale et responsabilités locales que peuvent générer les projets de musées satellites.
Cette comparaison révèle à quel point les musées satellites ne peuvent pas se contenter d’être viables d’un point de vue économique ; ils doivent également être en résonance avec la culture locale et responsables sur le plan social, assurant ainsi leur durabilité sur le long terme et leur impact positif sur la communauté. Cette dynamique est essentielle pour comprendre comment ces musées doivent concevoir leur rôle au sein du réseau mondial des institutions culturelles tout en restant enracinés dans leur environnement local.
Le futur pour les musées satellites
Cette analyse comparative cherche à souligner certains des facteurs qui contribuent au succès ou à l’échec des musées satellites. La Tate Liverpool a réussi à devenir une institution culturelle viable qui attire tout autant les publics internationaux que locaux. À l’inverse, le projet du Guggenheim Helsinki peut servir de mise en garde, signalant les complexités et les défis inhérents à la fondation d’un musée satellite. Ses difficultés mettent en évidence l’importance d’une approche nuancée qui accorde une attention particulière au contexte socio-politique ainsi qu’à la durabilité architecturale et opérationnelle afin d’intégrer dans le projet les besoins et les valeurs de la communauté locale.
Dans une perspective plus générale, les musées satellites sont au cœur d’un paysage culturel mondial en pleine mutation. Ils possèdent le potentiel unique de redéfinir les expériences culturelles et les interactions avec la communauté, transcendant les frontières et les attentes traditionnelles. Tandis que le secteur culturel continue d’évoluer, les leçons apprises de la Tate Liverpool et du Guggenheim Helsinki seront précieuses pour le développement des musées satellites, afin qu’ils demeurent dynamiques, pertinents et indissociables de la communauté artistique mondiale comme de leur environnement local.
Alejandra Linares-Figueruelo a publié un article sur les musées satellites intitulé « Cultural Franchises or Franchising Cultures? The Case of the Hermitage Barcelona » dans Museum International: Open Edition, paru en décembre 2022 (vol. 74., n° 293-294).
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Références
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