Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau

Ainhoa Simón Diez

Technicienne supérieure dans le domaine des musées

Mots clés : Communication ; Numérique ; Musée ; Réseaux sociaux ; COVID-19.

Les circonstances de la crise sanitaire mondiale de la COVID-19 ont modifié nos relations sociales. Le numérique s’est imposé (encore plus) dans nos vies : télétravail, formation à distance, e-commerce, loisir en streaming… Un quotidien virtuel auquel les musées doivent nécessairement s’adapter.

Dans ce nouveau scénario, les mesures de distanciation sociale ont provoqué l’accélération de certains processus de socialisation via internet, que l’on commençait déjà à identifier avant l’arrivée de la pandémie. Les statistiques et rapports sur les réseaux sociaux de 2019 et 2020, publiés par les grandes entreprises du secteur tels que Hootsuite, We Are Social ou GlobalWebIndex, montrent, parmi d’autres tendances, que les médias de masse suscitent maintenant moins d’attention que d’autres, plus personnels et personnalisables, révélant ainsi un intérêt général croissant pour les contenus partagés par les particuliers.

De nouveaux codes pour renforcer la communauté numérique du musée

Appliquée au domaine de la communication en ligne d’un musée, la première tendance (la perte d’intérêt pour les médias de masse, au profit d’options plus personnalisables) se traduit par le besoin de connaître le profil des utilisateurs qui intègrent les communautés de chaque canal numérique du musée, afin d’adapter les contenus en conséquence. La chaîne Youtube du British Museum de Londres en est un bon exemple. Sa rubrique Curator’s Corner, choisie par les utilisateurs parmi quatre propositions retenues pour relancer la chaîne du musée en 2015, utilise un format de vidéo similaire à celui qui a fait connaître les vlogueurs, aussi connus comme youtubers, pour rendre accessible le travail de ses conservateurs de façon directe et informelle. Ce format réinvente le concept de blog en introduisant la vidéo comme principal outil de communication et en utilisant les plateformes telles que Youtube pour partager, de façon régulière, du contenu spécialisé, dans une thématique concrète et adressée à un public spécifique, toujours de façon personnalisée et agréable.

 

Page d’accueil de la chaîne Youtube du British Museum, affichant la liste des vidéos du Curator’s Corner ©The British Museum

L’authenticité et la proximité sont des aspects que les utilisateurs des réseaux sociaux valorisent de plus en plus. Les comptes qui adoptent un ton communicatif suivant cette ligne directrice obtiennent un meilleur taux d’interaction, car ils sont perçus comme plus réels. Un exemple de cette tendance est le succès des dénommés « micro-influenceurs » : des utilisateurs suivis par une communauté plus réduite que celle des influenceurs plus connus. Les chiffres les différencient : 10 000 abonnés en moyenne pour un micro-influenceur et jusqu’à plus de 100 millions d’abonnés pour les influenceurs célèbres. Faire partie d’une petite communauté permet aux abonnés de se sentir plus proches des micro-influenceurs et donc, de s’identifier plus facilement au message qu’ils portent, ce qui augmente leur crédibilité. Alors qu’il n’est pas courant d’utiliser cette terminologie dans le domaine des musées, il existe néanmoins des profils sociaux de grande influence dans le secteur, tels que celui de l’étatsunienne @MarDixon, créatrice de campagnes à succès telles que #MuseumSelfie ou #AskACurator, entres autres. Le succès de ces communautés externes aux musées démontre que l’utilisateur de réseaux sociaux n’est, ni n’agit comme public du musée. C’est pourquoi le musée doit parvenir à gagner l’intérêt de ses abonnés. Le succès ne se mesure plus à la quantité d’interactions, mais à la qualité de la communication.

De nouvelles formes d’expression pour impliquer les nouvelles générations

Tweet publié sur le compte du Musée Getty annonçant le #GettyMuseumChallenge © Getty Museum

La deuxième tendance évoquée en début d’article (la grande importance donnée aux contenus partagés par des particuliers) se caractérise par le profil d’une nouvelle génération de « natifs numériques » qui a déferlé sur les réseaux sociaux et dont l’avenir sera conditionné par ceux-ci. Cette génération, appelée « génération Z », a choisi la vidéo comme format de prédilection en introduisant la culture de l’éphémère à son contenu ; elle a remplacé les mots pas les emojis, et a fait de la créativité sa marque de fabrique. Le résultat de ces changements se manifeste par le succès de certains réseaux sociaux tels que TikTok, Instagram, F3 ou Snapchat. Ces plateformes ont transformé l’utilisateur en acteur principal : il n’est plus simplement consommateur de contenu, mais le génère. Cette tendance se révèle par exemple à travers la mode des défis (ou challenges). Dans cette optique, revoir la stratégie de la communication numérique des musées implique d’ouvrir ces institutions aux nouveaux canaux et aux nouvelles formes d’expression afin d’atteindre les nouvelles générations et de favoriser leur participation à la création de contenus. Un exemple de l’application de ces nouveaux codes est le défi lancé par le Musée Getty de Los Angeles pendant le confinement, consistant à recréer des œuvres d’art à la maison avec le hashtag #GettyMuseumChallenge. Une initiative inspirée du défi lancé sur le compte Instagram @tussenkunstenquarantaine, sur lequel les internautes ont participé en affichant leurs propres versions des œuvres d’art avec les hashtags #tussenkunstenquarantaine et #betweenartandquarantine. La MuseumWeek a également inclus ce défi dans son programme 2020 avec le hashtag #CultureInQuarantine.

  

Sur les réseaux sociaux le terme « co-création » prend toute sa signification. Les musées doivent se positionner comme sources d’inspiration favorisant la créativité. © Compte Instagram @tussenkunstenquarantaine

Ces tendances sociales émergentes offrent de nouvelles formes de connexion avec les utilisateurs. Elles sont une opportunité de réinventer la communication des musées, en permettant un nouveau mode de relation entre l’institution et l’utilisateur, appelant à plus de participation, et lui conférant un plus grand pouvoir de décision. Tout cela s’inscrit dans le cadre d’une stratégie numérique planifiée et épaulée par des ressources humaines et technologiques adaptées. Autrement, le musée serait dans l’incapacité de répondre aux changements engendrés par les réseaux sociaux.

Références et ressources

Hootsuite. The Global State of Digital in 2019: https://hootsuite.com/resources/digital-in-2019

Hootsuite. Social Media Trends 2020: https://hootsuite.com/es/research/social-trends

We Are Social et Hootsuite. Digital 2020 Global Overview Report:

https://wearesocial.com/digital-2020

GlobalWebIndex. Social media marketing trends in 2020:

https://www.globalwebindex.com/reports/social

Compte Instagram @tussenkunstenquarantaine :

https://www.instagram.com/tussenkunstenquarantaine/

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