
Gabriella Howell
Directrice de la Préservation historique auprès de Heritage Trust Inc. (Antigua-et-Barbuda)
Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau
avril 30, 2025
Mots clés : Antigua-et-Barbuda, développement muséal dans les Caraïbes, jeunesse et patrimoine
L’archipel d’Antigua-et-Barbuda, situé dans la mer des Caraïbes, s’élève à 1 545 mètres au-dessus du niveau de la mer et est célèbre pour ses 365 plages. Destination touristique idéale, il attire des centaines de milliers de visiteurs chaque année.
L’archipel, néanmoins, ne met pas suffisamment en valeur son riche passé ; ses musées présentent principalement les récits de l’amiral Nelson et de ses escapades caribéennes, exception faite du petit musée centré sur le peuple ciboney, qui se serait installé dans l’archipel dès 2400 av. J.-C. Le Heritage Trust d’Antigua-et-Barbuda (HTAB) fut établi en 2023 afin de restaurer certains lieux historiques, de révéler de plus grands pans de l’histoire de l’archipel et de fournir des opportunités de formation et d’emploi au sein du secteur patrimonial.
La Maison de la gouvernance d’Antigua-et-Barbuda
La restauration de la Maison de la gouvernance, résidence et bureau du gouverneur, est le premier projet développé par le HTAB. Situé sur l’île d’Antigua et dans la capitale, Saint John’s, cet édifice est un symbole de la gouvernance démocratique de l’archipel. Il incarne le parcours effectué par la nation, jadis centre de colonisation sous l’autorité de pays européens, qui acquit en 1834 son émancipation avant d’obtenir son indépendance 147 ans plus tard, en 1981. Depuis le début du XIXe siècle, la Maison de la gouvernance a servi de résidence officielle pour les gouverneurs de l’archipel − le premier d’entre eux fut Hugh Elliot, en 1809.
Le bâtiment principal est construit selon le style architectural antillais, avec des lignes simples et symétriques, une toiture en pente, des volets et des pilastres décoratifs. Il est entouré par des bâtiments annexes qui servaient autrefois de remises à calèches ou d’étables et qui abritaient les services de buanderie, les cuisines, les logements pour les domestiques, les citernes, les filtres calcaire et les jardins, le tout entouré par un mur d’enceinte.
Le conseil d’administration du HTAB a donc entrepris la restauration de ce monument ; la première et la deuxième phases du Plan directeur, établi en 2023, sont maintenant achevées. La troisième phase implique des réparations à l’intérieur des bâtiments, et la quatrième sera consacrée au développement d’un musée sur le site. La Maison de la gouvernance continuera à héberger la résidence officielle et les bureaux du gouverneur général d’Antigua-et-Barbuda, tout en abritant un musée consacré aux récits de pouvoir sur l’archipel.
Le musée présentera l’histoire du colonialisme, de l’esclavage, de l’émancipation et de l’indépendance de l’île, tout en s’intéressant au rôle joué par le gouverneur général et aux procédés démocratiques en place de nos jours.
Former les générations futures à la préservation du patrimoine
Créer un musée dans un bâtiment historique n’est pas un concept nouveau au sein de la communauté muséale internationale. À Antigua, cependant, l’approche avait plutôt été jusqu’à présent de démolir les vieilles structures pour les remplacer par de nouvelles. Le HTAB cherche à renverser cette tendance, conscient d’à quel point il est important de préserver les sites historiques et de former des locaux aux différentes tâches de restauration. Cette approche est un aspect essentiel du Plan directeur 2023-2026. Au cours des deux premières phases de la réfection de la Maison de la gouvernance, des artisans locaux ont été formés aux travaux de restauration, et en particulier aux techniques de maçonnerie. Les équipes ont collaboré avec des experts internationaux pour apprendre à mieux maîtriser l’utilisation du mortier de chaux dans la préservation historique. David Harrison, membre du conseil d’administration du HTAB, a facilité les liens entre l’École de formation Harrison Centre (qui s’est implantée récemment sur l’île) et les ouvriers qui travaillaient sur la Maison de la gouvernance[1]. Des programmes de formation continue spécifiques aux travaux réalisés sur le site seront organisés au Harrison Centre, notamment dans le domaine de la menuiserie et de la maçonnerie, afin de comprendre les usages historiques du mortier de chaux. Des formations pour les travailleurs de musée et pour les guides accompagnateurs seront également dispensées.
La troisième phase du projet élargira encore davantage les possibilités de formation et d’emploi dans la restauration patrimoniale. Il s’agira avant tout de faire des réparations dans le domaine de la menuiserie (une grande partie du mobilier datant de l’époque géorgienne) mais aussi de restaurer des meubles et d’analyser des peintures. Les marchés sont attribués à des entreprises locales dès lors qu’elles sont capables de fournir une formation durant les travaux. En outre, la collaboration entre HTAB et le Harrison Centre, qui enseigne aux locaux les compétences nécessaires aux travaux de réfection de la Maison de la gouvernance, perdure.
Créer un musée en partant de zéro
La quatrième phase du Plan directeur consistera à fonder le musée, le HTAB ayant signé un protocole d’entente avec le London Museum Docklands pour sa création. Les deux institutions sont intimement liées : les West India Docks (les quais des Antilles) à Londres, inaugurés en 1802, servaient à stocker les produits expédiés depuis les Antilles. Le London Museum Docklands, qui a ouvert ses portes en 2003, occupe l’un des entrepôts d’origine. Cette collaboration est en phase avec la vision du HTAB, qui a pour volonté de présenter l’histoire d’Antigua-et-Barbuda à travers le regard de ses habitants. Le HTAB a commencé à collecter des histoires orales, et cherche actuellement à créer un programme d’apprentissage ou de stages en partenariat avec les écoles secondaires locales.
Les individus impliqués dans la restauration et le développement du musée ont donné de nombreux objets destinés au musée. Les acteurs du projet seront impliqués dans les événements prévus pour 2025, et certains de ces événements seront des expériences immersives destinées à attirer les jeunes visiteurs de musée. En raison d’un manque de postes sur l’archipel, le secteur culturel est confronté à des défis importants comme la fuite des cerveaux. Toutefois, en encourageant un intérêt précoce pour le secteur du patrimoine, le HTAB cherche à s’assurer que ceux qui quittent l’île pour leurs études puissent revenir et trouver des opportunités d’emploi dans ce domaine. L’objectif du HTAB est de présenter le secteur du patrimoine et le rôle que les jeunes générations pourront y jouer à l’avenir. En rendant visible le travail de formation et de restauration qui a été entrepris dans le bâtiment et en vue du développement du musée, le HTAB souhaite offrir un exemple de ce qu’il est possible de faire et inspirer les générations futures.
Développer un espace muséal profondément enraciné dans l’histoire d’Antigua-et-Barbuda, tout en mettant l’accent sur la restauration du patrimoine et en offrant des possibilités de formation et d’emploi à la prochaine génération, est au cœur de la mission du HTAB. La Maison de la gouvernance, qui est au centre de cet effort, servira de symbole de l’histoire d’Antigua-et-Barbuda et sera un modèle de fierté culturelle pour les Caraïbes.
[1] Le Harrison Centre for Social Mobility à Antigua-et-Barbuda a pour vocation d’offrir des programmes d’enseignement technique et professionnel à des étudiants cherchant à bénéficier d’une deuxième chance ou aux travailleurs en quête de formation permanente.