
Dr Felicia Sternfeld
Présidente d’ICOM Allemagne
Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau
juin 2, 2025
Mots clés : satisfaction des employés, professionnels des musées, Allemagne, étude
L’engagement d’ICOM Allemagne envers les travailleurs de musée
L’Allemagne, qui compte plus de 6 800 musées, offre un paysage muséal très varié en termes de structures, comprenant aussi bien des institutions gérées par l’État que des établissements privés. Cette diversité des structures muséales fait du pays une étude de cas des plus pertinentes à l’international, puisqu’elle permet de souligner les défis qu’a à relever la sphère muséale à l’échelle mondiale : attractivité pour les travailleurs, méthodes de direction modernes, diversité des employés et nouveaux modèles organisationnels.
ICOM Allemagne s’est engagé à améliorer les conditions de travail dans les musées, convaincu que la satisfaction des employés est essentielle pour la durabilité institutionnelle. Ainsi, le comité a en 2024 mené en coopération avec destinet change la première enquête de satisfaction des employés de musée au niveau national. Plus de 1 500 professionnels de musée y ont participé.
Les résultats, présentés en mai 2024 lors du 18e Symposium international du lac de Constance, sont sans équivoque : les données récoltées doivent mener à des actions. Malgré un engagement professionnel important, l’insatisfaction concernant les conditions de travail est maintenant généralisée. La question qui se pose principalement est de savoir comment les musées peuvent créer un environnement de travail attrayant et viable sur le long terme. Les conclusions de l’étude allemande offrent un éclairage inestimable sur le travail muséal à l’échelle internationale.
Fig. 1. Symposium international du lac de Constance, 2024 © ICOM Allemagne. Photographie : Nicolas Bühringer.
L’étude
Les femmes représentaient une grande proportion des personnes interrogées lors de l’étude, ce qui reflète la réalité de la situation de l’emploi dans les musées allemands. La plupart des participants travaillaient dans des musées d’art, de collections et d’histoire culturelle ; certains types de musée étaient donc sous-représentés. La majorité des personnes interrogées avaient entre 30 et 59 ans.
Parmi les résultats très encourageants de l’étude, notons une forte implication professionnelle des participants : nombreux sont les employés de musée qui sont passionnés par leur travail et le trouvent extrêmement gratifiant. Cette motivation personnelle est un atout précieux.
En revanche, simultanément, seulement 50 % des personnes interrogées sont satisfaites de leur situation professionnelle actuelle (voir Fig. 2). Plus inquiétant encore, 40 % d’entre elles cherchent activement ou à moyen terme de nouvelles opportunités de travail, et 65% de celles-ci envisagent même de quitter le secteur muséal. Ces chiffres soulignent l’urgence qu’il y a à améliorer les conditions de travail.
Pour ICOM Allemagne, une des missions primordiales est de passer de la réflexion à l’action. Toutes les parties prenantes – et notamment les directeurs de musées, les pouvoirs publics (au niveau régional et national), et les responsables politiques (décideurs et parlementaires) – doivent travailler ensemble au développement d’une culture de travail durable et attrayante dans les musées, afin d’améliorer le bien-être des employés et d’assurer la pérennité et la pertinence des institutions culturelles au sein de la société.
Fig. 2. Réponses à la question « Dans quelle mesure êtes-vous satisfait(e) de votre situation professionnelle ? ». © ICOM Allemagne
Conclusions principales
Voici quelques-unes des questions auxquelles les participants devaient répondre :
Et voici les conclusions principales qui ont pu être tirées :
Insatisfaction et volonté marquée de changer de travail
Malgré la passion démontrée par de nombreux employés, seulement la moitié des participants sont satisfaits de leurs conditions de travail. Les résultats de l’enquête montrent une volonté marquée de changer d’emploi, ce qui indique que les musées doivent encourager une culture de travail plus attrayante et offrir de bonnes conditions d’encadrement, cela étant essentiel pour éviter une fuite des talents vers d’autres secteurs. La volonté de quitter le secteur est très forte, en particulier chez les jeunes employés de la génération Z.
Fig. 3. Réponses à la question « Pourquoi cherchez-vous un nouvel emploi ou prévoyez-vous de changer de travail ? ». © ICOM Allemagne
Fig. 4. Réponses à la question « Êtes-vous actuellement à la recherche d’un nouvel emploi ? ». © ICOM Allemagne
Disparité de genre dans les postes de direction
Bien que près des trois-quarts des employés de musée soient des femmes, cette proportion ne se reflète pas dans les postes de direction. Les responsables femmes, pourtant, reçoivent systématiquement des notes plus élevées que leurs homologues masculins, aussi bien par les hommes qui répondent à l’enquête que par les femmes. Cela montre à quel point il est nécessaire d’introduire des changements structurels concernant l’égalité des genres et les possibilités de carrière.
Défis en matière de direction : hiérarchies, reconnaissance et évolution
Les personnes interrogées rejettent les hiérarchies rigides ; elles souhaitent participer davantage aux prises de décision et bénéficier d’une culture de travail fondée sur la reconnaissance. Certaines choses ont pour eux plus d’importance que le salaire, comme le fait d’effectuer des tâches qui ont du sens, de voir leur travail reconnu et d’avoir des possibilités d’évolution. Les générations les plus jeunes attachent une grande importance à la conciliation travail-vie personnelle et à l’égalité.
La passion comme force directrice, mais un degré important de stress
La plupart des employés exercent leur métier avec de réelles convictions, cependant l’étude montre qu’ils se sentent souvent stressés. Ce problème pourra être résolu grâce à des mesures ciblées permettant d’améliorer les conditions de travail.
Qu’est-ce qui compte le plus pour un nouveau travail ?
Les offres d’emploi comportant des données claires sur le salaire, des informations sur la culture de la société et indiquant que l’employé communiquera, en direct, avec la direction du musée, sont celles qui retiennent le plus l’attention des postulants. Les modèles de travail flexibles, les structures hybrides et le télétravail sont de plus en plus recherchés, en particulier par les jeunes et les femmes.
Recommandations pour des travailleurs de musée tournés vers le futur
Partant des résultats de l’enquête, voici les recommandations principales qui peuvent être émises :
Les musées doivent adopter des modèles et des structures de travail flexibles qui reflètent la diversité des besoins de leurs employés. Mais la flexibilité seule n’est pas suffisante : les employés ont également besoin des ressources nécessaires à l’exercice de leur métier – y compris financières – pour pouvoir accomplir leurs tâches avec professionnalisme. Sans cela, leur travail devient difficile et épuisant, ce qui contribue au taux de défection très élevé dans le secteur.
En dépit de certains progrès, l’égalité de genre demeure un défi primordial. Les musées doivent mettre en œuvre des mesures ciblées afin d’éliminer les barrières structurelles qui défavorisent les femmes et d’autres groupes minoritaires, et ce à la fois au sein des institutions et en dehors, les musées devant jouer un rôle sociétal en tant que défenseurs de la diversité et de l’inclusion.
Alors que les hiérarchies traditionnelles sont de plus en plus remises en question, de nombreux musées continuent à suivre des modèles administratifs classiques. L’étude montre que d’autres types de structures organisationnelles sont non seulement possibles mais aussi plus efficaces – dès lors qu’existe la volonté d’embrasser le changement et l’innovation.
Le paysage muséal est en pleine évolution et requiert de nouvelles compétences. Pour garder toute leur pertinence, les musées doivent de plus en plus miser sur un apprentissage professionnel continu, prioriser la collaboration interdisciplinaire et la capacité d’apprendre des erreurs. Ce faisant, ils doivent également reconnaître les compétences et les forces existantes de leur personnel et en tirer le plus grand parti possible.
Les dirigeants modernes ne doivent pas être de simples preneurs de décision : ils doivent fournir une orientation et créer une sécurité psychologique tout en promouvant une communication ouverte et transparente. Une culture de management participative et basée sur la confiance, se démarquant des structures hiérarchiques traditionnelles, est essentielle pour un travail muséal durable.
Tous les changements nécessaires ne requièrent pas un investissement financier important. Les facteurs humains comme la reconnaissance, la culture d’équipe et la participation des employés aux prises de décision ont un impact significatif sur la satisfaction professionnelle – et peuvent souvent être améliorés sans grand effort. Même les plus petits changements peuvent avoir un impact très positif et créer un environnement de travail qui encourage la motivation et l’implication des employés.
Nous conseillons aux comités nationaux qui envisageraient de mener une étude similaire d’assurer une procédure transparente et inclusive en ayant recours à un organisme de recherche externe, dont l’expertise garantira une bonne méthodologie et la crédibilité de l’étude. Et d’être prêts à faire face à des vérités désagréables : la valeur d’une telle enquête ne réside pas seulement dans les résultats obtenus mais aussi et surtout dans le dialogue et l’élan qu’ils engendrent pour aboutir à des changements véritables et durables.