Lucía Magnín ; Jorgelina Vargas Gariglio,
enseignantes-guides de musée ; chercheuse et boursière en anthropologie à la division d’Archéologie CONICET de la Faculté de Sciences naturelles et Musée de la Plata
Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau
janvier 26, 2023
Mots-clés : musée universitaire, visites guidées, pratique éducative interculturelle, muséologie sociale, droits des peuples autochtones.
Quand il s’agit d’aborder la question des peuples autochtones d’Argentine, d’importants défis se posent à nous en tant qu’enseignantes-guides au Musée de la Plata (MLP) car lors des interactions avec le public il est fréquent que surgissent des moments de tension et de conflit. C’est pourquoi nous évitons parfois de traiter en profondeur le sujet des inégalités qui, historiquement, ont été imposées aux peuples autochtones.
Nous exposons ici deux éléments-clés qui permettront de comprendre la difficulté qui se présente à nous lors de l’exercice de notre activité, à savoir, d’une part, l’histoire de la fondation du MLP et la relation qui a suivi entre l’institution et les peuples autochtones ; et, d’autre part, le profil des guides qui forment l’équipe de son service éducatif. Grâce à leur formation en anthropologie et un regard critique, ils contribuent à consolider le rôle social de l’université et des musées universitaires.
La fondation du MLP, au XIXe siècle, fut antérieure à la création de l’université nationale de la Plata, dont il commença à dépendre à partir de 1906. Les collections étaient les mêmes que celles qui, en 1877, avaient été réunies par Francisco P. Moreno, pour constituer le Musée anthropologique et archéologique de la province. De nos jours, les enseignants-guides sont des étudiants et des diplômés de la Faculté des Sciences naturelles et Musée, qui travaillent dans un domaine d’intersection entre l’éducation supérieure, la formation continue et l’éducation dans les musées. En tant qu’enseignants-scientifiques-formateurs, nous mettons à la disposition de la communauté certaines connaissances scientifiques tout en accueillant d’autres savoirs et d’autres perspectives sur différents thèmes que nous abordons au cours des visites. Ces thèmes comprennent notamment l’histoire naturelle de la région et la diversité culturelle du passé et du présent. Pour commencer la visite, l’édifice imposant du XIXe siècle offre un parcours à travers ses couloirs et ses salles, une sorte de tunnel temporel qui débute il y a plus de 4 000 millions d’années, avec les roches connues comme les plus anciennes, et se poursuit avec les différentes ères géologiques, l’évolution des êtres vivants et des paysages. Dans ces salles, le défi pour les guides consiste à actualiser sans cesse leurs connaissances en fonction des progrès scientifiques constants dans de nombreux domaines mais aussi à sensibiliser le public sur la responsabilité qu’ont les êtres humains vis-à-vis de la planète. Mais parvenus à l’étage supérieur, dans les salles au contenu anthropologique, nous nous trouvons face à de nouveaux défis.
Jorgelina Vargas Gariglio guide un groupe de scientifiques qui assistent au 6e Congrès national de Zooarchéologie argentine dans la salle Miroirs culturels. © Lucía Magnín
Les collections qui sont pénibles à guider
La salle Miroirs culturels expose des objets, des images et des textes relatifs aux peuples autochtones ayant occupé pour la plupart la République argentine actuelle. La proposition muséographique tourne autour du thème de la diversité culturelle ainsi que des inégalités qui affectent historiquement ces peuples. C’est un thème particulièrement présent et sensible dans notre institution étant donné qu’une grande partie de ses collections consiste en objets et en restes osseux humains ayant appartenu aux populations qui ont été violemment dominées durant la consolidation territoriale de l’État argentin durant les dernières décennies du XIXe siècle. Nous devons répondre à certaines questions très dérangeantes concernant les relations qui existaient entre les indigènes et les personnes alors à la tête de l’institution et responsables des différentes divisions scientifiques à l’époque de la fondation, comme par exemple : « Des indigènes qui ont été réduits en esclavage par la science au XIXe siècle auraient vécu ici ? », « C’est vrai que lorsque ces personnes moururent leur os furent décharnés pour être exposés dans les salles du musée ? ».
Par ailleurs, notre public a parfois des réactions très diverses à propos des politiques actuelles consistant à ne pas exposer ces restes humains et à chercher à les restituer aux peuples indigènes. La décision de ne pas les exposer est en général considérée comme un choix institutionnel correct ; cependant, certains visiteurs manifestent de l’intérêt ou de la curiosité vis-à-vis des corps momifiés qui ont été exposés, par le passé, dans les vitrines. Quant à la restitution des restes humains, les gens renouvellent à ce sujet les questions embarrassantes sur les circonstances dans lesquelles ces restes ont pu intégrer les collections.
Des tensions lors des visites guidées
Le patrimoine exposé ou retiré des expositions nous amène à aborder la situation actuelle des peuples autochtones. En dialoguant avec le public nous découvrons quelques idées sans fondement scientifique mais très enracinées, selon lesquelles par exemple « il n’existe plus actuellement d’Indiens véritables, seulement leurs descendants » ou bien les origines culturelles de notre pays ne proviendraient que des immigrants européens et blancs « qui débarquèrent sur le continent ». Ce questionnement du bien-fondé de l’identité indigène ou cette négation de la composante indigène dans l’héritage culturel de notre société amènent à mettre en doute les réclamations de ces peuples. À travers ces exemples on peut aisément imaginer les tensions et les émotions qui sont suscitées lors des visites guidées dans l’étage supérieur du musée.
L’enseignante-guide Micaela Medina accueille un groupe scolaire dans le hall central du Musée de la Plata, à côté du buste de son fondateur, Francisco P. Moreno. © Valeria Aguall
Quelques stratégies pour surmonter les difficultés
La perspective de l’anthropologie contemporaine et de la muséologie critique nous amène à rendre visibles et à reconnaître les peuples autochtones du territoire américain actuel. C’est pour cela qu’il nous semble problématique que les guides évitent les situations dotées d’une certaine charge émotionnelle sans chercher à approfondir le thème des droits bafoués des peuples indigènes et des réclamations existantes sur les collections détenues par le MLP. Notre position en tant qu’éducateurs est d’aborder ces thèmes controversés afin de pouvoir dialoguer avec le public dans une optique actuelle, consciente des droits humains.
Le MLP est un lieu où l’histoire, la mémoire, l’identité et la conscience des racines se cristallisent. Ses couloirs et ses salles sont des espaces susceptibles de provoquer de nombreuses émotions, de choquer le bon sens et de générer des rencontres avec d’autres façons de voir le monde. C’est également un lieu où l’on peut aborder l’histoire de la formation des collections initiales de l’institution qui, comme dans la plupart des musées de science du XIXe siècle, est ternie par des actions qui traitèrent les personnes comme des objets naturels, collectionnables et manipulables.
Afin de tirer parti du « pouvoir transformateur » du musée, il existe plusieurs lignes d’action possibles mais, en ce qui nous concerne, nous proposons de travailler en équipe pour veiller aux signaux et aux informations qui se présentent lors des visites guidées, tels que certaines idées reçues, discriminations ou fausses nouvelles qui circulent dans les moyens de communication à propos des peuples autochtones. Dans l’interaction avec la communauté, notre activité est essentielle car l’inclusion de ce thème au sein du contenu des visites dépend en grande partie de la médiation réalisée par les enseignants-guides. Pour cela, il est impératif que l’institution reconnaisse l’équipe d’enseignants-guides comme un groupe d’enseignement et d’apprentissage réfléchi et professionnel, capable d’identifier les problèmes complexes, de produire des solutions novatrices et de les adopter avec succès.
Références
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Reca, M. M., « El museo dialógico ‘en acción’. Análisis de las representaciones sociales de los visitantes en relación a la exhibición de restos humanos en el Museo de La Plata’ in M. Bialogorski et M. M. Reca (dir.), Museos y visitantes: ensayos sobre estudios de público en Argentina, Buenos Aires, ICOM Argentine, 2017, pp. 37-68.
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