Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau

Nyasha Warren - Guillermina De Gracia

directrice de recherche, musée du Canal interocéanique de Panama - professeure, Centre régional universitaire de Coclé

Avec la collaboration de Kaysha Corinealdi, Nadia De León et Margie Muñoz.

Mots clés : éducation, histoire, musées, groupes de discussion, recherche, Panama.

L’enseignement de l’histoire au Panama est analysé depuis les années 1960 lors de séminaires et de congrès. Certaines lacunes dans l’enseignement de cette matière ont été signalées, comme par exemple le peu de temps consacré à cette discipline, l’approche restreinte des thèmes sociaux, économiques et culturels, ainsi que la nécessité d’actualiser la bibliographie et les méthodologies d’enseignement.

En septembre 2021, le Museo del Canal Interoceánico de Panamá a lancé une étude de deux ans visant à analyser la manière dont s’enseigne l’histoire du canal de Panama dans les écoles publiques de cinq régions panaméennes. Diverses méthodes pour recueillir les données furent utilisées lors de cette étude, financée par le Secrétariat national pour la science, la technologie et l’innovation.

Cet article analyse les résultats de 15 groupes de discussion répartis dans 12 écoles, entre les mois de mars et mai 2023, avec des collégiens et des lycéens. L’objectif était de comprendre leur perception de l’histoire, de connaître les ressources utilisées pour l’étudier et d’appréhender leur vision des musées. Les établissements, sélectionnés aléatoirement, représentaient 1% des écoles publiques des régions de Coclé, Colón, Panama Centre, Panama Ouest et Veraguas.

 

Fig. 1. Museo del Canal Interoceánico de Panamá. © Museo del Canal Interoceánico de Panamá

Qu’est-ce que l’histoire pour les jeunes ?

Le premier objectif des groupes de discussion était de préciser la conception qu’avaient les élèves de l’histoire. Lorsque ceux-ci firent référence au concept d’histoire, ils le définirent à travers des faits qui appartiennent au passé ou sont révolus. On pouvait percevoir, cependant, que pour la majorité de ceux qui participèrent aux groupes de discussion, ces événements ou sujets du passé restaient cantonnés au passé et n’influaient ni sur leur réalité actuelle, ni sur leur futur.

Nombreux sont les jeunes qui trouvent l’histoire intéressante, mais la façon dont elle est enseignée peut ne pas être attrayante pour tous. Les méthodes d’enseignement et d’évaluation centrées sur la mémorisation des données sont peut-être à incriminer. Il est important d’améliorer les stratégies pédagogiques afin de développer les compétences technologiques, interpersonnelles et sociales des élèves en histoire à tous les niveaux du système éducatif panaméen.

Quelles ressources utilisent les élèves pour étudier et faire leurs devoirs d’histoire ?

L’étude cherchait également à identifier les ressources auxquelles recourent les jeunes pour apprendre l’histoire. La majorité d’entre eux signalèrent qu’ils utilisaient leurs notes de cours et des photocopies de manuels scolaires, information qui corrobore des enquêtes antérieures montrant que seuls 49 % des élèves possèdent des manuels scolaires.

Face à cette réalité, on comprend pourquoi certains élèves indiquèrent qu’ils utilisaient également des résumés, des photos de livres qui ne sont pas accessibles en classe ainsi que des vidéos que les enseignants leur fournissent. Un groupe minoritaire de jeunes indiqua également obtenir des informations par le biais de la bibliothèque scolaire ou de leurs parents. Cette donnée est importante si l’on considère l’impact positif que peut avoir l’implication des parents dans la réussite de leurs enfants, au moins dans les matières principales en primaire.

Malgré l’absence d’accès à Internet dans de nombreuses écoles, les élèves rapportèrent dans les groupes de discussion la nécessité d’utiliser cette ressource pour leurs devoirs ; apparemment, ils chercheraient à consulter Internet en dehors de l’école grâce à des membres de leur famille ou à des amis. Les chiffres officiels indiquent que seuls 61 % des élèves des écoles publiques du Panama peuvent accéder à Internet chez eux.

Que pensent les élèves des musées ?

Connaissant l’importance de l’inclusion et de la participation communautaire dans les expériences muséales, le troisième objectif de l’étude était d’appréhender la perception qu’ont les élèves des musées. Bien que les musées soient des ressources sous-exploitées par les classes et que les élèves les visitent rarement, les élèves ont développé leur propre vision des musées.

D’après une étude inédite de Warren et al. (2023), 75 % des élèves qui étudient l’histoire du Panama, dans les cinq provinces où a été réalisée l’étude, n’ont jamais visité un musée, un site ou un monument lié à l’histoire du canal de Panama, l’un des ouvrages de méga-construction les plus connus au monde. Les groupes de discussion indiquèrent qu’ils voyaient les musées comme des lieux d’information sur les ancêtres et des objets anciens ; les sorties scolaires sont les principales ou uniques occasions qu’ils ont d’y pénétrer.

Malgré ce fait, les élèves panaméens des écoles publiques ont une idée générale de ce que peut être un musée, et ce concept est très proche de leur définition de l’histoire. Les descriptions de musées faites par les élèves renvoient ainsi toutes à des musées d’histoire ou d’archéologie.

La question « Qu’inclurais-tu dans un musée de ta communauté ? » a révélé, néanmoins, une différence intéressante entre la perception qu’ils ont de l’histoire et leur conception du musée. Ils ont signalé qu’ils conserveraient des objets qui sont importants pour eux et leur communauté, notamment de vieux artéfacts qu’ils utilisent aujourd’hui, comme des chácaras (petits sacs tissés), des motetes (grands paniers tressés) et des bateas (plateaux en bois). De manière inconsciente, les élèves savaient que certains objets utilisés à l’heure actuelle sont suffisamment importants pour être sauvegardés dans un musée afin que les générations futures puissent les connaître et apprendre d’eux. Le musée qu’ils imaginaient leur a permis de comprendre que le passé est relié au présent et donne forme au futur – une vision proche de celle de nombreux musées d’histoire, d’art et de sciences ou d’autres espaces de réflexion et d’apprentissage informel.

Fig. 2. Photo d’un plateau [batea] contenant du maïs. © Guillermina De Gracia

Quel effet pourrait avoir l’accès à certaines ressources, dont les musées, sur la vision qu’ont les élèves de l’histoire ?

Dans les écoles publiques concernées par l’étude, la moitié des élèves n’ont pas accès à des manuels scolaires et ont donc recours à des photocopies, des résumés et des vidéos pour faire leurs devoirs. Quelques-uns comptent sur l’aide d’une bibliothèque scolaire ou de tuteurs, mais la disponibilité et l’efficacité des moyens utilisés pour renforcer les connaissances historiques varient grandement.

Les musées, qui peuvent constituer un instrument précieux pour compléter ce qui a été appris en classe, sont une ressource très peu utilisée, bien qu’ils offrent une expérience pratique et visuelle plus marquante que le seul fait de lire ou d’écouter en classe. En interagissant avec les artéfacts et les expositions, les élèves seraient en mesure de nouer un lien plus profond avec l’histoire et de l’envisager dans un contexte plus large, mais à l’heure actuelle cette possibilité reste très limitée.

Il est crucial que les écoles cherchent des solutions créatives et accessibles pour enrichir les ressources dans l’enseignement de l’histoire, en classe et hors de la classe. Le manque d’une pédagogie solide en sciences sociales constitue un défi éducatif. Former les enseignants à des méthodologies innovantes et motivantes est fondamental pour encourager la curiosité et la pensée critique chez les élèves, puisque c’est ce qui leur permettra de développer une conception de l’histoire plus complète, plus globale et plus pertinente pour leur vie future.

Note : cet article présente seulement une phase d’une étude plus large. Pour plus d’informations sur l’ensemble de notre étude, veuillez consulter le communiqué de presse publié sur le site du Museo del Canal Interoceánico de Panamá.

Références

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De León, N., León, M. 2024. Perspectivas vecinas: modelos lineales jerárquicos de las pruebas de lectura de tercer grado del ERCE. Factores asociados de Colombia, Costa Rica, Panamá y República Dominicana. RECIE. Revista Caribeña de Investigación Educativa, 8(1), 191-213.

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Mojica, Roselba. Evaluación de la percepción de los estudiantes de historia sobre las estrategias didácticas que utilizan los profesores, con mayor frecuencia en el aula, tendientes al desarrollo de las competencias genéricas. Facultad de Ciencias de la Educación, Panamá,  Universidad de Panamá, 2017. [Tesis de maestría no publicada]. [Accesada el 1 de febrero de 2021].  Disponible en: <[http://up-rid.up.ac.pa/140/1/roselva%20mojica.pdf>  

Warren, N., Corinealdi, K., De Gracia, G., De León, N., Muñoz, M. 2023. Estudio descriptivo sobre lo que se aprende y cómo se aprende en la materia de Historia con un enfoque en la historia del Canal de Panamá en el año 2022 y 2023. Informe inédito correspondiente a la Etapa Nº 2 del proyecto PFIA-IACP-2021-10. Museo del Canal Interoceánico de Panamá. Panamá.