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avril 19, 2020

Rendre l’invisible visible. Les maladies et handicaps invisibles dans les collections médicales

Dr. Angela Stienne

Consultante en muséologie

Mots-clés: collections médicales ; handicap ; maladies invisibles ; représentation ; diversité

Á l’inauguration de la nouvelle galerie de médecine du Musée des Sciences de Londres en 2019, j’ai été frappée par une affiche qui affirmait que « Les gens normaux n’ont pas besoin de médication ». Datant de 1965-1969, elle avait été diffusée par le Central Council for Health Education britannique. Certes, cette affiche promouvait un mode de vie sain, contre l’abus des traitements médicamenteux, mais elle s’adressait aussi aux gens atteints de maladies chroniques invisibles, survivant grâce à la prise de médicaments à vie. Je me suis alors interrogée : comment les collections médicales traitent-elles des histoires de ceux dont les troubles ne sont pas physiquement apparents ? Comment pouvons-nous représenter, dans les musées, ces pathologies et handicaps invisibles ?

Révolutionner le discours

Les musées britanniques qui conservent des collections médicales et anatomiques ont toujours été au cœur des réflexions portant sur ce qu’être « humain » signifie. Ce sont eux qui réfléchissent à la façon dont les musées peuvent représenter les maladies et handicaps, de façon à la fois déontologique, émotionnelle et captivante. Jusqu’à présent, les approches entreprises par les musées dédiés à la médecine face aux problèmes de santé n’étaient guère flatteuses dans leur représentation, ni déontologiques, en ce qui concerne le consentement. Ce constat a récemment amené à repenser l’objectif des collections médicales ainsi que leur manière d’interpréter les différentes capacités et le paysage variable du domaine de la santé. Par exemple, jusqu’à sa fermeture temporaire il y a peu, le musée Hunterian de Londres exposait le squelette de Charles Byrne, un Irlandais né au XVIIIe siècle qui souffrait de gigantisme. Avant sa mort, il avait exprimé le souhait d’être inhumé en mer. Au lieu de cela, son corps a été saisi puis donné pour étude au chirurgien John Hunter. À la mort de ce dernier, la dépouille a été cédée au musée Hunterian d’anatomie. Dans bien des musées, les restes humains sont exposés à des fins prétendument éducatives, sans réflexion aucune sur le message envoyé aux visiteurs handicapés ou souffrant de maladies invisibles.

Pour remédier à ce problème, le Wellcome Collection et le Research Centre for Museums and Galleries de l’université de Leicester ont publié, en février 2020, un guide définissant une approche déontologique de l’interprétation du handicap et des différences dans les musées. Ce document confirme que les récits des personnes handicapées sont toujours largement absents des musées, et que, « quand ils y figurent, leur représentation reflète une attitude négative profondément ancrée envers la différence physique et mentale. » Le modèle sociétal relatif au handicap proposé par ce guide s’éloigne du point de vue médical pour se concentrer sur les expériences vécues et les voix individuelles des personnes touchées. À travers différentes perspectives et histoires personnelles, il dresse des portraits authentiques de maladies et de handicaps, pour mieux révéler qu’en fait, c’est la société qui crée ce handicap. Ce modèle a été appliqué, avec succès, dans la nouvelle galerie du Wellcome Collection, Being Human, nommé par la presse « musée le plus accessible au monde ». Comme l’a fait remarquer la conservatrice Clare Barrow : « Notre compréhension de ce que signifie être ‘humain’ est en train de changer, non seulement grâce à la recherche, mais aussi grâce aux voix de ceux dont l’identité et l’expérience diffèrent. »

Affiche avec un message de sensibilisation aux drogues, avec l’illustration de quatre jeunes et les mots “Les gens normaux n’ont pas besoin de drogues”, produite par le Central Council for Health Education, Londres, Angleterre, c1965-1969. © Musée des Sciences, Londres. Don de la Health Education Authority.

Rendre l’invisible visible

Comment les musées peuvent-ils représenter les maladies et les handicaps, quand ceux-ci sont à la fois invisibles et controversés ? Comment rendre l’invisible visible ? Tel est le postulat du Lyme Museum Project, un musée virtuel qui rend visible l’invisible. La maladie de Lyme est causée par une bactérie transmise par les tiques et qui peut entraîner de graves infections. Selon les scientifiques, la variante chronique de ce trouble pourrait affecter jusqu’à deux millions de personnes en 2020 dans le monde. Toutefois, c’est une pathologie difficile à diagnostiquer et bien des pays refusent de reconnaître son existence. Elle a donc été rendue invisible, en particulier dans les musées. Ce projet associe le modèle social du handicap à la narration, non seulement pour aborder la question de la normalité et de la santé des corps, mais aussi pour fournir une plateforme à celles et ceux qui ont été passés sous silence.

D’autres projets ont également étudié la représentation de l’invisible. C’est le cas de l’exposition photographique Les nombreux visages de notre santé mentale (2018), au Musée des Sciences de Boston, qui représentait des personnes atteintes de maladies mentales. Éclairer le moi, une exposition à la galerie Hatton, par les artistes Susan Aldworth et Andrew Carnie, utilise quant à elle des œuvres d’art pour représenter l’invisible du point de vue de personnes atteintes d’épilepsie, en réponse aux recherches sur un nouveau traitement de ce trouble.

En collectant des objets et histoires auprès de celles et ceux qui souffrent de maladies invisibles et dont les voix ont été tues jusqu’à ce jour, ces projets remettent en question et bouleversent le récit traditionnel. Les musées sont une affaire d’histoires, et les histoires parlent des humains. Il est temps que les musées consacrés à la médecine représentent l’intégralité du spectre des pathologies humaines, y compris des moins visibles.

 

Références et ressources:

Plus d’informations sur le Lyme Museum Project ici.

Museums urged to address unethical representation of disability”, Museums Association, le 13 février 2020

Le guide, “An ethical approach to interpreting disability and difference” pest être téléchargé sur la page “Disorder, dissent and disruption” du site internet du Research Centre for Museums and Galleries (RCMG)

Is this the world’s most accessible museum?”, The New York Times, le 11 septembre 2019

Photo credits: © Musée des Sciences, Londres. Don du Health Education Authority britannique. Creative Commons Attribution – NonCommercial-ShareAlike 4.0 Licence

 

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