Les musées n'ont pas de frontières,
ils ont un réseau

Philippa van Straaten

Conservatrice à la Galerie d’art de Johannesburg

À l’instar des autres institutions patrimoniales dans le monde entier, ces deux dernières années, la Galerie d’art de Johannesburg et son personnel ont beaucoup souffert de la pandémie de Covid-19, à la fois d’un point de vue personnel et professionnel. L’impact de la fermeture de l’institution sur les visiteurs, de mars 2020 à début décembre 2021, ainsi que les problèmes récurrents d’accès pour le public, de compétences du personnel et ceux posés par l’obligation de trouver de nouvelles façons de travailler, ont été majeurs. Cette fermeture nous a poussés à nous pencher sur le fonctionnement de la galerie, aussi bien d’un point de vue physique qu’idéologique, à l’intérieur et hors des limites de nos locaux. Le personnel a en outre dû étudier ce qu’il est nécessaire de mettre en place dans les réserves, les archives et les salles d’exposition afin d’améliorer leur accès, compte tenu notamment de la tendance mondiale à se tourner vers des formats numériques et en ligne, combinés à des programmes et à des expositions physiques.

Galerie d’art de Johannesburg. © Johannesburg Art Gallery

Améliorer les accès à la Galerie : une nécessité

Depuis longtemps, nous nous demandions comment capter l’attention du public et des communautés autour de la Galerie, ainsi que celle des visiteurs locaux et internationaux. Des projets comme le Joubert Park, en 2001 et Urban Concerns, en 2008 ont étudié le rôle des arts en leur qualité d’acteurs sociaux et politiques dans leur environnement et leurs communautés. Tous deux mettaient en valeur à la fois le musée et son parc. La galerie se situe en plein cœur du quartier dynamique et contesté d’Hillbrow, une zone très peuplée composée d’un mélange urbain de petits commerces, de voyageurs de passage et de travailleurs, qui réunit habitants locaux et d’origine étrangère. L’accès au musée, déjà compliqué en raison de son histoire de collectionnement et de ses débuts coloniaux, qui lui confèrent une image idéologique bien particulière, a été rendu encore plus complexe en raison de la pandémie. Ce n’est que lorsque la Galerie s’intéresse et remet activement en question ses collections de façons inédites en stimulant de nouvelles discussions quant à la pertinence de l’institution et à sa place au sein de l’économie culturelle et artistique de la ville à l’ère numérique qu’elle peut espérer fournir un accès complet au public.

L’exposition actuellement proposée, Ngoma II, suite de la première du nom, se penche sur les collections de la Galerie afin d’étudier les cosmologies inhérentes à ses œuvres et traite de la place de chacun dans le monde ainsi que dans les domaines ancestral et spirituel. Une grande attention a été accordée à l’engagement en ligne du public ; les visiteurs s’engagent avec l’exposition dans l’espace physique comme sur les plateformes en ligne. Ngoma II était la deuxième exposition de la Galerie à être rendue en 3D et en ligne pendant les confinements et la première à être « ouverte » au moyen d’une diffusion en streaming sur Facebook sur les comptes de la ville de Johannesburg. Elle ouvrira la voie à de futurs programmes similaires.

Le nécessité de continuer avec les programmes (en ligne)

Depuis longtemps, la Galerie cherchait à accroître sa présence en ligne ; la Covid-19 a donné au personnel l’occasion de se mettre activement à l’archivage et à la numérisation de projets de poids, en plus des programmes physiques habituels. En 2019, la Galerie a reçu un financement du fonds de l’ambassadeur américain pour la sauvegarde culturelle, grâce aux Amis de la Galerie d’art de Johannesburg. Cette subvention devait servir à effectuer une numérisation d’envergure des archives de la Federated Union of Black Artists, conservées à la Galerie, et à lancer des processus permettant d’accéder aux documents en ligne. Si ce projet a été conçu avant la pandémie, c’est lorsque les archives ont été perçues comme une entité numérique que sa mise en œuvre a pris forme, ainsi que les mesures nécessaires pour rendre les documents accessibles en ligne. La Covid-19 a obligé le musée à réfléchir d’une façon nouvelle aux différents défis : accès insuffisant aux ressources technologiques et humaines, absence de comptes sur les réseaux sociaux et, plus important peut-être, le fait que la majorité de ses collections, en réserve ou exposées, n’aient pas encore été numérisées. Travailler au sein de systèmes a été la clé pour résoudre en partie certains de ces défis. C’est ainsi le cas des comptes « non officiels » sur les réseaux sociaux, qui diffusent les événements, comme la page Facebook Joburg Culture, qui sert de référentiel pour les médias en ligne de toutes les institutions culturelles de la ville. Les réserves de la Galerie regorgent d’œuvres vivantes, précieuses, contemporaines et historiques, qui sont depuis trop longtemps réduites au silence. Prendre en photo et numériser à grande échelle les objets des collections sera sans doute le projet le plus important de cette période incertaine, notamment car il ouvrira la voie à une incroyable quantité de contenus pour de futurs programmes numériques ou hybrides. La pandémie a révélé des imperfections majeures inhérentes au manque de préparation de l’institution quant aux méthodes de travail en ligne et numériques, et à sa capacité à fournir des services d’archive et de musée numériques à ses publics. Nous avons rapidement compris que la numérisation n’était pas un processus simple en une étape, mais une entreprise chronophage, intense et coûteuse.

Conclusion

La pandémie nous a permis de constater que la numérisation serait essentielle pour créer du contenu en ligne et des expositions virtuelles plus facilement. En plus des quelques tentatives récentes d’expositions en ligne, la Galerie possède également une page sur le site internet Google Arts and Culture, mais qui ne présente qu’une petite partie de nos œuvres. Notre conservateur en chef, Khwezi Gule, tient à souligner que les paysages numériques et les cycles de données sont en rapide mutation, ce qui implique que la communication et les technologies afférentes doivent subir des mises à jour bien plus fréquentes. Nous devons impérativement rester à la page, au risque sinon d’être en marge. De plus en plus d’événements et de programmes culturels et patrimoniaux en ligne sont organisés, en plus des expositions physiques ; si la Galerie de Johannesburg possédait les bases numériques nécessaires, elle pourrait accomplir bien plus encore.

Page de la Galerie d’art de Johannesburg sur Google Arts and Culture. © Philippa van Straaten

Khwezi Gule propose de nombreuses techniques collaboratives qui pourraient permettre à la Galerie de produire davantage dans le domaine numérique, sans se limiter à la numérisation. Elle pourrait par exemple devenir une plateforme en ligne destinée avant tout aux artistes et aux créateurs locaux, sur laquelle ils se réuniraient pour proposer, partager et créer des programmes, du contenu et des ateliers. Il souhaiterait également que la galerie publie plus souvent sur internet, aussi bien sous la forme de publications que de contenu relatif aux collections ou aux programmes publics, auquel les apprenants, les chercheurs et toute personne curieuse et intéressée par nos œuvres pourraient avoir accès. Pour cela, il nous faudra mettre en place des partenariats créatifs avec des organisations qui partagent les mêmes valeurs et développer de nouveaux réseaux.

Le conservateur en chef nous met cependant en garde : il n’est pas question de négliger les expositions physiques. Les technologies numériques n’ont pas encore éclipsé les médias traditionnels. Quand on l’interroge sur sa vision de la galerie dans un an, il répond :

« Tout comme le film n’a pas remplacé la photographie ou les [liseuses], les livres, pour la galerie de Johannesburg, la composante en ligne ou numérique n’est jamais qu’un autre élément de notre combinaison de canaux de communication, aux avantages et aux inconvénients propres. » 

Références et ressources

Pour en savoir plus sur l’article de Terry Kurgan sur le Joubert Park Project :  http://www.terrykurgan.com/project/joubert-park-project/

La ville de Johannesburg a publié ce communiqué de presse sur la collaboration Urban Concerns avec le Bildmuseet, en 2008 : http://www.sharlenekhan.co.za/articles/Press/13.%202008%20Urban%20Concerns.pdf

NGOMA II – Cosmology in African Modernities, Facebook livestream : https://fb.watch/bQ01mMZmuQ/

Page de la Galerie d’art de Johannesburg sur Google Arts and Culture : https://artsandculture.google.com/partner/johannesburg-art-gallery